[IL FAIT CHAUD]
Il fait chaud.
Contre les marches où il n’y a plus d’ombre, près des graviers éclatants de blancheur, les insectes crissent et rampent. Je transpire. Je ne bouge pas. Je respire à petits coups l’air brûlant qui déchire mes poumons, j’écoute les oiseaux.
Je les laisse approcher.
Je pense à l’hiver, aux corneilles qui craillent et corbinent par centaines à la tombée du jour, au bois qui craque dans les grands arbres, aux appels affolés des étourneaux qui peuplent les branches sombres. Le parc est immense. Les gens marchent à pas pressés en remontant leur col, quelques enfants se roulent dans les tas de feuilles sèches (pour ma part, je préfère m’y coucher à l’automne, quand elles sont encore souples, odorantes, accueillantes au poids de mon corps qui s’apaise dans leur bruissement d’ailes répandues), il y a près du zoo tous les âpres fumets des fauves que j’évite d’approcher tant ils ressemblent à ceux du chenil, et dans les allées je marche sans bruit. Je m’assieds sur un banc, réchauffe mes doigts gourds dans le fond de mes poches, j’écoute les oiseaux. J’oublie le sang, la maison, les rires d’elle avec ses bêtes, j’oublie comme il fait sombre dans la boutique et comme j’ai envie, souvent, de poser mes mains sur le tissu frémissant de sa jupe, j’oublie les frôlements que j’ai osés dans le couloir, l’escalier, l’encadrement d’une porte, mon ventre glissant le long de ses hanches et tentant de s’y attarder, se frottant et pressant contre son corps, l’odeur de ses cheveux, de sa peau que je regardais transpirer près de moi, mes doigts soudain touchant sa taille ou s’enfonçant entre nous dans l’épaisseur de sa poitrine, et les fourmillements dans mes jambes tandis qu’ainsi je m’appuyais et pesais contre elle qui se dégageait— tout s’éloigne, ma chair se calme, je m’allonge dans le froid crissant, j’écoute les oiseaux dont les cris transpercent l’air et ma tête, j’attends. J’attends qu’enfin piaulent et pépient les petits dans les buissons, j’attends d’être envahi par les roucoulements, les gloussements, les gazouillis des oiseaux revenus, d’entendre dans leurs cages brailler les paons et jaser les perroquets, d’écouter près du bassin le cancanement des cygnes et sous les toits le gémissement des tourterelles, plus forts que tous les grognements des chiens et qui me fait oublier les crocs et les langues chaudes des bêtes, dans la touffeur qui s’étend — j’attends, couché sur mon banc, de retrouver l’émoi joyeux de tout cela qui siffle, caquette, turlute, babille, trisse et jacte, et chuchète, appelle, flûte, chante, trille, pleure, s’empare de l’espace, vole, gratte, bat des ailes et creuse avec son bec, change, bouge, sautille, pique dans le vide, s’évade, plonge, frôle les feuillages, se repose et flotte contre l’air et me regarde de profil, toujours, avec son œil fixe et vaguement méprisant.
J’attends les soirs d’été, les crépuscules interminables où le ciel verdissant monte entre les toits de tuiles, où je m’assieds comme aujourd’hui près du calvaire, au-dessus de la ville.
Là, tout s’apaise.
L’air devient fluide, les martinets y tracent leurs envols ; j’écoute les bruissements des vents du soir. Je touche les pierres encore chaudes de la chaleur du jour, je m’évade loin de la maison où mastiquent les chiens en cadence, où elle mâche bouche ouverte et m’attend sans impatience, sachant qu’avec la nuit, comme les femmes aux lèvres rouges montent dans l’ombre autour de moi, je m’enfuirai vers la maison pour cacher ma tête entre ses bras.
Odile Massé, L’Envol du guetteur, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2018, pp. 78-79-80. Dessins de Christine Sefolosha. Lecture de Claude Louis-Combet.
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