éditions L’herbe qui tremble, 2018.
Lecture d’Angèle Paoli
MESSAGES D’AVRIL Des notes des poèmes des photos. Un échange. Plus qu’un échange, une alliance. Un partage des voix qui fraie son chemin d’un visage à un instant, d’un instant jusqu’aux mots. Ceux de l’un et de l’autre poète. Ensemble ils forment une passerelle entre les espaces, entre les saisons. Mais rien qui pèse. D’une page à l’autre, un gué, un passage. Le regard perçoit cette légèreté, incrustations de givre sur la fougère, le cœur cristallisé des clématites, dentelles sur les feuilles. Légèreté des transparences, encore, pétales translucides qui vibrent dans la lumière. La lumière : le bleu vif du ciel et celui, violine, des grelots des muscaris ; le rouge éclatant du coquelicot, le jaune d’or des premiers crocus, le blanc discret de l’ornithogale, tout émeut dans la nature, quel que soit le point du jour où l’on se trouve. Tout s’émeut sous les mots. Les mots s’agencent, prennent leur aise, leur part de liberté. Les poèmes surviennent en répons aux photos. Ensemble, poèmes et photos (ou inversement) ordonnancent l’espace. Ils donnent naissance et vie à La Grande Année. Une composition à quatre mains, œuvre d’Isabelle Lévesque et de Pierre Dhainaut. Le recueil s’articule en trois parties. Pierre Dhainaut signe « La Grande année », un gruppetto de trois poèmes par saison : Automne des souffles / Splendeur d’hiver / Printemps de signes / Instants d’été. Le poète dunkerquois signe également « Prédelle », seconde partie, un ensemble de dix poèmes de douze vers. Dans la troisième partie, « Étant donné ici », Pierre Dhainaut signe « Étant donné avril », suite de textes poétiques en prose dans laquelle il donne à lire sa vision de la poésie. Ou plutôt les nuances avec lesquelles le poète l’envisage. Dans cette même partie, Isabelle Lévesque signe, elle, « Ici, aux Andelys ». Le recueil se clôt sur un double témoignage, « Le 9 septembre 2017 », chacun à tour de rôle exposant sa démarche ainsi que les origines de ce projet commun. Quelle que soit la forme que prend le poème, la poésie de Pierre Dhainaut s’affirme comme « un art du passage ». Le passage se fait ici à partir des photographies proposées par son amie poète. Dans la fragilité de l’éphémère. Beauté des photos, arbres fleurs brindilles pétales pistils, bocages et horizons où prédomine le vert, falaises qui rivalisent avec le ciel. Le regard se pose, fluide, capte un instant de lumière, entrelacs de formes et de courbes. Les couleurs embaument qui diffusent leur éclat d’une page à l’autre. C’est cela « la grande année », cette année de connivence entre deux poètes, entre deux voix. À la fois distinctes et présentes l’une à l’autre, voix et regards complices, à l’écoute. Les saisons sont « propices ». Propices à l’écriture, propices au dialogue entre mots et photos. Chacun, avec sa sensibilité propre, pose un instant son regard, dans la lenteur du geste, sur l’éphémère. Afin d’en retenir la quintessence et de la faire exister. Un laps de temps : celui de l’écriture et celui du partage. Parfois, les vers de Pierre Dhainaut prennent l’intonation de la prière où l’être humain a toute sa place à même la nature. Prière profane, rien qui pèse : « arbre » ou « falaise », répétons-les ensemble, ces noms, afin qu’ils grandissent, qu’ils nous grandissent, là-haut, dans leur lumière ». Dans la section intitulée « Prédelle », le poète s’attarde sur des tableautins, chacun ayant son sujet propre, sa philosophie généreuse, son art de penser la poésie et de penser le partage. En écho, comme toujours, avec la photo proposée. Ainsi du poème « Vocation florale » qui interroge l’or du bouton d’or (en est-ce vraiment un ?), son « rayonnement » et son nom : « Nous voudrions savoir pourtant le nom de la couleur nouvelle : peut-être un poème pourra-t-il le dire, un poème écrit en commun, dont le rayonnement sera si discret, si intense, que nous n’aurons nul besoin de le répéter. » Isabelle Lévesque aime la nature. Respectueuse de ses silences, de ses secrets, elle est aux aguets, sans cesse à l’écoute de ce qui tremble dans l’invisible des saisons. Elle attend. Les germinations lentes. La vie cachée sous les feuilles. Viennent le temps des bourgeons puis celui des éclosions éclatantes emplies de promesses à vivre. Il y a un temps pour l’écoute, un autre pour dire, un autre enfin pour vivre. Photographier écrire écouter l’autre, entrer en connivence avec lui. Les photos sont là pour témoigner de cet espace qu’offre le temps, le temps d’envoyer de composer de recevoir d’envoyer à nouveau. Le temps de composer une œuvre que nul n’avait prévue. Le poète, dans sa modestie, répond aux photos de l’artiste sans pour autant se soucier de la forme que prendront les vers. Chacun va son chemin, laissant mûrir les mots, les laissant éclore, lorsqu’ils affleurent. Pierre Dhainaut aimerait parvenir à écrire des « poèmes arborescents ». De cette même arborescence que parvient à capter l’œil graphique d’Isabelle. Enlacements de ramilles, tracés de signes sur fond de ciel. Lorsqu’émergent sur la page les coquelicots, une même fluidité passe de l’image à l’écriture. Le poème et le coquelicot n’appartiennent-ils pas à la même famille ? Unis l’un et l’autre dans la même « incandescente » fragilité. Dans « Ici, aux Andelys », adjoint aux notes et aux poèmes de Pierre Dhainaut, Isabelle Lévesque fête avec ferveur la légèreté florale du lieu qui est le sien. Elle convoque les coquelicots. Et eux seuls. Rendant ainsi un hommage amoureux à sa fleur favorite. Éclatante, la fleur, dans sa beauté immortelle. Déclinaison de rouges, de ferveur, de noblesse, tiges légères affûtées vers le ciel, « tiges menues / où tendre nos rêves », veinules délicates : « tant de lettres et de pétales ! », s’extasie Isabelle, robes de bal et tutus soyeux, élégance toute parée d’un mystère ancien : « Nous traversons enfin. Entre les branches, le passé surgit en sa figure nue que le présent devine. » Pistils sombres, en éventail, duvets fins et barbules, et les calices dénudés, déjà. Et ce désir d’aimer qui s’éprend d’avril et voudrait davantage. « Fleurir annonce écrire », confie Isabelle. Écrire et photographier. C’est tenter « le portrait de l’instant ». Un défi, pour qui « aimerait l’éternité ». Peut-être avril rend-il l’approche possible ? Car avec avril remontent les voix de l’enfance, depuis longtemps enfouies. Mais avril libère les formes, les êtres et les mots, ainsi que l’écrit Pierre Dhainaut : « Toujours en avril la poésie, toujours en enfance. » Isabelle Lévesque répond en écho : « Parfum de printemps, précipice des fleurs, tout invente le signe de parure. » C’est à Pierre Dhainaut que je laisse la primeur de la coda, empruntée à l’un des poèmes d’« Automne des souffles » : |
Retour au répertoire du numéro d’avril 2018
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.