LE PRINTEMPS
[…] Le plus grand représentant et spécialiste du printemps fut, pour ainsi dire, le maître artisan Ciccio Privitera — garibaldien* au temps de sa jeunesse —, qui habitait une des ruelles qui s’enchevêtrent derrière la dernière partie de Via Roma, près de l’église Santa Maria, où nidifient des centaines de pigeons gris. Maître Ciccio dormait, entre autres, avec son premier cercueil, ou tabbutu, sous son lit (sur ce fait, j’écrivis une nouvelle à l’âge de seize ans). Il avait l’habitude de dire : « L’homme doit être chaque jour fin prêt pour son départ, toujours douloureux, qui disperse les êtres dans le Vide où il n’est plus de lois géométriques. » De fait, lui, qui en mars emplissait son tabbutu de beaux feuillages, d’inflorescences et de cèdres phéniciens, nous expliquait comment chaque fleur avait une disposition spatiale particulière, véritablement donnée à l’avance et géométrisable, existant en essences de formes errantes, antérieurement à la naissance du monde. En outre, selon maître Ciccio, maître maçon, chacun pouvait utiliser un végétal, ou un buisson : le sacristain choisit l’armoise parce que, de ses touffes manches, il peut moucher les bougies dans l’église, afin que s’en répandent les arômes ; la bourrache, sous laquelle les scarabées déposent leurs œufs, est utile au vilain qui la mange en bouillie et assaisonnée d’huile, la menthe, non l’aqueuse du rivage des torrents, mais celle des montagnes, est utilisée par les vieilles femmes pour se rafraîchir l’odorat et leur esprit engourdi ; les herbes dites oiselles — les si fines — sont utiles aux oiseaux de la campagne, et, aux merles, les maquis ensoleillés ; le chat malade se soigne avec les feuilles caduques du soi-disant arbre d’or, etc.
Une fois le printemps arrivé avec les fumées des chevriers, la chose qui piquait davantage notre curiosité, de nous autres les enfants, était le conseil donné par Privitera : aller laisser nos maladies aux vieilles gens qui, y étant habituées, s’en plaignaient peu. Il suffisait de frapper aux portes et de dire : « Prenez ma toux parce que je n’en veux pas ; que mes plaies apparaissent sur vous, parce que je n’en veux pas. » Je crois qu’il s’agissait d’une pensée archaïque médico-empirique, transportée en Sicile par les Latins : une véritable technique de transfert d’une maladie.
Quand le soir arrivait avec la constellation du Bélier qui, bleuâtre, pouvait être entrevue depuis les cheminées, dans ces dédales de ruelles étroites, tout en nous la montrant, maître Ciccio nous invitait à nous agenouiller devant sa porte et à prier en attendant l’arrivée du Messie, comme il l’avait vu faire à New York aux juifs qui, des pains azymes à la m ain, marchaient à la queue leu-leu sur le rivage marin.
Le printemps
Sur les murs éclosent les câpres et la rose
purpurine ;
des femmes cueillent de la menthe le long d’un très blanc
ruisseau
parmi cinq cents beaux ventelets.
Sur son œuf, chante l’alouette dans les blés.
L’homme savant en ellébore
noir
écoute les enfants jouer de la harpe
qui endort
les vieilles gens sur leurs grabats, très fine
dans la maie est la farine.
Depuis le nôtre, lointain est le royaume du Bélier
sans
rue** très fleurie, sans ombres de canisses ;
l’oreille
dans les feuilles, saint François mesure les bleus clairs
à travers les vacuités des cercles planétaires.
Giuseppe Bonaviri, Les Commencements [L’incominciamento, Sellerio editore, Collana La memoria, Palermo, 1983], Éditions La Barque, 2018, pp. 52-55. Traduction de l’italien, postface & annotations Philippe Di Meo.
_____________________________________________________
*garibaldien : autrement dit, ayant participé à l’expédition des Mille (1860) de Giuseppe Garibaldi, ou l’ayant activement soutenue, synonyme de chemise rouge.
**Rue, ou ruta graveolens : semi-arbrisseau qui possède des vertus aromatiques et médicinales.
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.