POUR DIRE NOUS VOICI
(extrait)
Avant. Mais tout est si récent. Avais-je déjà fait un voyage. M’étais-je déjà vue avant. Avais-je même déjà pensé maison. Autre chose que « mes murs à perpétuité ». Mon genre ma place ma joue tendue sur le miroir. Fresque officielle. Jamais complète ni future et nul pont probable. Qui étais-je — de quel amour. L’une parmi tant taboues que rien ne soigne. Dans grande famine qui broie. Maintenue à la cheville de son sexe. Et loin l’immensité du territoire.
Depuis — un autel mon nom d’effroi et un volcan. Ça a poussé. Quelque chose s’est fait en mon absence. Arrivée lente à l’aveugle autobiographie de mon espèce. Je commence tard à mourir à chaque aube. Me relève tard mais rude résiste revis veux me battre. Jusqu’aux étoiles. Dis oui nombreuse à voix violente.
Je commence tard à hurler à chaque aube.
À « notre moi désaxé ». À nous. Nous sauve « ma force fracassée / ma force noire. » Fenêtre d’âme offerte sans faste. Nous « corrige notre vie ». Nous — claire conscience colère de femmes — « n’irons plus mourir de langueur mon amour / à des mille de distances dans nos rêves bourrasques / des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres ». Nous souches errantes volontaires avançons. Nous seins nus pour dire non pour dire nous voici.
Où commencer. Car toujours cœur d’os d’armes d’émois s’emballe. Vitriol à nerf vif de nos peurs. Avançons manœuvrons catalogues d’infos chagrins de première heure. Poitrines d’abus. Jusqu’au parti pris. Ni le monde ni le sans espoir de nous du monde ne nous reconnaissent.
Nous ne sommes pas celles que nous sommes.
Or tout (re)commence à mon soudain cri. Je suis espèce deuillante indignée. J’envisage chaque jour prochain en nuit. Chancelante résiste. Mon poing sur des sons drus d’encre. Mon poing retient alarme et plaie respire planète et nostalgie future. Me voici plurielle. Nous. En force qui soulève ce qui s’effondre. Qu’on arrache. Qui revient s’afficher aux murs d’angle de passage des villes — espoir aux phrases mobiles. Vieille colère rose feu qui nous a fait nous dresser. À cet ébranlement de la configuration antique des espèces humaines. Ombre unanime. Les rubans hurlants de Jenny Holzer s’y enfouissent encore. S’ouvrent encore somptueusement l’esprit le lieu — océan de marbre d’un pavillon des Giardini.
« car le mystère est cécité
et projection d’antennes vers une seconde lueur »
MICHELINE SAINTE-MARIE
Denise Desautels, « Inventaire II, Pour dire nous voici », in D’où surgit parfois un bras d’horizon, Inventaires 2012-2016, Éditions du Noroît, Collection Poésie, 2017, pp. 59-61.
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