Éditions Pétra, Collection Pierres écrites/L’Oiseau des runes
dirigée par Jeanine Baude, 2017.
Lecture d’Angèle Paoli
« UNE LECTURE DU MONDE » Par-delà le paysage des rues et des champs qui dessine ses formes dans le dernier recueil de Philippe Leuckx, c’est tout un paysage sonore qui se déplace d’une section à l’autre de D’obscures rumeurs. Un paysage en demi-teintes, jamais totalement noyé par les chagrins ou par la nostalgie d’un temps qui n’est plus, temps de l’enfance désormais inaccessible. Pourtant, à l’annonce du titre, le lecteur pourrait s’attendre à de plus graves obscurités. Il n’en est rien, car tout se dit dans ces poèmes brefs avec une retenue qui baigne les gestes de jadis et le moindre relief dans une pénombre à peine mélancolique, « une lumière un peu assourdie » : « À peine un bruissement de cordes ». Des voix, des rumeurs imprécises bruissent dans la nuit, accompagnées parfois de la caresse de la pluie, effacement des berges et des rives au rythme de l’efflorescence des souvenirs. Quelquefois, au contraire, les rumeurs se font inquiétantes, qui « pèsent avec leur vrac d’ombres et l’éphémère tendu de ciel ». Mais rien qui s’appesantisse et vienne entraver durablement le « passant » pour qui « rien ne s’entreprend sans l’espoir d’y loger quelque amour, quelque solitude. » Lorsque se font plus vives les rumeurs de la rue et du monde ou les impatiences du cœur, le poète trouve dans la « douceur des vocables » — celle du « mot paix » — de quoi lutter contre la fureur des hommes, « contre le mur des balles ». Tant il est vrai que Philippe Leuckx est sensible à ce « peu » qui se loge dans les sonorités. Ainsi du poème intitulé « Gares » guidé par la profusion vibratile des [v] (labio-dentales voisées) : « Si vous voulez qu’une ville vive vite et veuille un peu de vous Vous fasse un peu de place Vous verse dans ses voix Vous irez de vous-même vous égarer dans ses gares Ses rumeurs » Ou ailleurs, par la profusion plus disséminée des syllabes grinçantes ou grognantes [GR] de « gré » / « gravats » / « gourmes » / « gares » / « égarés »… Agencement souple de sonorités qui agit comme une caresse — comme un baume — pour apaiser les plaies du monde. Le poète ouvre la voie, qui se « rempare » derrière la polysémie des mots. Ainsi berce-t-il « nos inquiètes présences ». Une vigilance sensible que le poète, dans sa générosité, offre en dédicace à ceux qui lui sont chers : Pour Maria, Pour Gaëtan, Pour Paolo/Pour Jean-Luc et Mo… |
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