éditions Faï fioc, Montpellier, 2017.
Lecture d’Angèle Paoli
SEULS LES OISEAUX SAVENT À son défunt. Le titre de l’ouvrage sonne comme une adresse. Une adresse incomplète qui sous-entend une relation étroite entre le locuteur et son interlocuteur. Un défunt anonyme, homme ou femme, nul ne sait. La photo d’une jeune femme en fin d’ouvrage, souriante, d’allure simple et naturelle, laisse à penser qu’il s’agit peut-être là d’un poème écrit pour cette femme. Les deux vers en exergue empruntés au poème « Rhénane d’automne » d’Apollinaire orientent la lecture vers l’adresse d’un enfant à sa mère : « Des enfants morts parlent parfois avec leur mère Et des mortes parfois voudraient bien revenir ». De « Septembre » à « Dernier poème », Éric Sautou engage un dialogue avec la mère disparue. Le mois de septembre signe-t-il le moment de la séparation ? Peut-être. Le poème éparpille ses mots. Est-ce un poème ? C’est en tout cas une ouverture sur la mort et sur les réflexions qui l’accompagnent. Mais c’est aussi une perpétuation qui poursuit sa quête par-delà la mort. Des phrases brèves, sans complexité lexicale ni syntaxique, s’échelonnent sur la page, page après page, isolées par de forts interlignages. Les pronoms personnels « je/tu » apparaissent d’emblée : « Je t’attends beaucoup. » « Je descends jusqu’à toi ». Le mot « maman » est là, lui aussi, qui continue d’exister en dépit d’une absence marquée de l’impossibilité à penser celle-ci. Un abîme s’est ouvert, que rien ne peut apaiser que rien ne peut combler. Et cette douleur physique qui se dit explicitement : « Me brûlent (me brûlent). » Ou indirectement : « Les arbres souffrent (les arbres et les fleurs). » La mère demeure celle que l’enfant implore. « Sauve-moi ». Elle est cet être unique qui hante le sommeil. Elle est celle qui se présente encore à l’enfant qui a besoin de s’assurer de son amour et de se rassurer : « Est-ce que je suis quelqu’un que tu aimes toujours tellement ? » Les phrases se suivent qui rendent compte du désordre intime et du chagrin suscités par la disparition de la mère. La place laissée vide s’ouvre sur un chaos intérieur où tout n’est plus qu’incompréhension, que « précipice », que solitude. La vie est détruite. Elle fait place à une réalité nouvelle qui agit comme un couperet : « Les années sont tombées comme celles du rêve. » Ainsi s’écoule « Septembre », en quatre ensembles distincts de phrases qui évoquent la relation étroite du poète à sa mère. Et le manque indicible qu’il a d’elle. Une autre section s’ouvre, intitulée « Autres poèmes ». Numérotés de un à sept, les poèmes sont brefs. Légers (faussement !). Quelques vers, à peine. Un point isolé sépare chaque strophe. Parfois une simple phrase occupe la page. L’ensemble est aérien. Aéré. Aucune majuscule n’est là pour alourdir l’espace ou perturber le regard. Seules des parenthèses ponctuent parfois les poèmes. La mère est là, présente dès l’ouverture. « ton nom ta voix comme si déjà presque rien je m’y égare » Le poète aussi, avec ses mots minuscules : « j’écrivais des poèmes (des lambeaux) des peines des sursis » Le premier poème reprend ce qui déjà s’annonçait dans « Septembre ». Égarement / déchirure / chagrin. Et cette impossibilité à se saisir, par le poème, du visage aimé. Tout tient ici en très peu de mots. L’attente. Les ombres. L’absence. Rien ne va plus. Tout échappe au poète qui tente de ranimer ce qu’il fut de sa mère. Surgit un lieu. Celui de la maison que le poète associe au visage maternel. S’ajoute à ce duo, la rivière. Mais tout est nommé sans qu’aucune précision ne vienne alourdir leur présence. Sinon deux superlatifs absolus qui soulignent la singularité du lieu : « regardez il y a la plus petite (petite) et la plus seule de nos maisons (une rivière l’accompagne) » Et ce constat qu’il est impossible de retenir quoi que ce soit de ce qui fut. Reste entre les doigts la sensation du friable de l’éphémère de l’impalpable. Tout finit par se défaire par se déliter et par tomber : « […] la fleur de son bouquet c’est de la paille c’est de la cendre (bientôt ce n’est plus rien) » Je m’interroge sur les parenthèses. Je ne parviens à aucune réponse claire quant à leur objet ; quant à leur signification précise. Je perçois seulement qu’elles m’émeuvent sans que je parvienne à en saisir la raison. Elles complètent, enclosent les mots ou les phrases qu’elles contiennent. Parfois en écho assourdi, parfois en crescendo comme pour l’énumération ci-dessus, finalement ternaire, qui va de la « paille » au « rien » en passant par la « cendre ». Il faudrait faire halte sur chacune d’entre elles et les considérer dans leur singularité. Je fais le choix de la subjectivité qui me fait seulement dire ici qu’elles m’émeuvent sans que je cherche à m’appesantir davantage. Ce choix n’est après tout peut-être rien d’autre qu’une volonté de retrait, en réponse au lyrisme (discret) qui sourd derrière ce qui s’écrit de cet indicible amour. Un amour que le poète tient serré dans un « tout petit mouchoir brodé ». L’instant se fige dans un présent immobile qui pourrait bien être éternel puisqu’entouré « de plus hautes herbes ». Avec lui revient le passé, retour sur ce temps où les parents existaient ensemble, partageaient le même silence. Des interrogations esquissées, comme incomplètes ou inachevées, débouchent sur une absence de réponse en même temps que sur la quête qui taraude le poète jusqu’au regret : « est-ce que j’ai fait quelque chose pour toi pourquoi ce qu’il aurait peut-être fallu mais je n’ai pas stèle brisée (jour manquant) ». La mort a accompli son œuvre. Elle a emporté la mère. Le poète reste seul. Abandonné à ses mots, confronté à leur inadéquation, à leur difficulté à être. Et ce constat terrible lié à la perte et à l’infini du ravage : « c’est le nom que tu n’as plus si je ne suis plus là ». La disparition totale veille si le fils n’y prend garde et vient à disparaître à son tour. La relation mère/enfant s’inverse : « Ma mère mon enfant ». L’inversion annoncée dès « Septembre » se poursuit. La mère défunte devient l’enfant que le poète berce dans les mots, dans l’espoir d’une osmose de l’un avec l’autre et que seule la mort peut faire advenir : « le temps est irréel où je tremble il me semble que tu es désormais mon enfant (je n’y résiste pas) nous serons bercés abandonnés quelqu’un viendra nous dire vous êtes vous aussi le défunt » Le recueil touche à sa fin. Un « Dernier poème » le clôt. Poème unique. Et seul à porter un titre : (les oiseaux). Leur vol à l’unisson traduit sans doute l’aspiration du poète à trouver une réponse à ses questionnements sur le temps et sur la mort. Seuls les oiseaux savent, qui s’accomplissent dans leur fusionnement : |
ÉRIC SAUTOU Ph. Sébastien Solidon Source ■ Éric Sautou sur Terres de femmes ▼ → Beaupré (lecture d’AP) → [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré) → [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront) → La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution) → [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances) → La Véranda (lecture d’AP) → [assise et seule assise] (extrait de La Véranda) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou → (sur Terre à ciel) une page sur Éric Sautou |
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