CONVERSATIONS ABOUT HOME
(at a deportation centre)
Well, I think home spat me out, the blackouts and curfews like tongue against loose tooth. God, do you know how difficult it is, to talk about the day your own city dragged you by the hair, past the old prison, past the school gates, past the burning torsos erected on poles like flags? When I meet others like me I recognise the longing, the missing, the memory of ash on their faces. No one leaves home unless home is the mouth of a shark. I’ve been carrying the old anthem in my mouth for so long that there’s no space for another song, another tongue or another language. I know a shame that shrouds, totally engulfs. I tore up and ate my own passport in an airport hotel. I’m bloated with language I can’t afford to forget.
Warsan Shire, Teaching my mother how to give birth, Flipped eye publishing, London, 2011.
CONVERSATIONS À PROPOS DE CHEZ SOI
(au centre d’expulsion)
Donc, je pense que chez moi m’a crachée dehors, coupures d’électricité et couvre-feux comme une langue butant contre la dent branlante. Dieu, sais-tu comme il est difficile de parler du jour où ta propre ville t’a traînée par les cheveux, devant l’ancienne prison, devant les portails des écoles, devant les torses incendiés dressés sur des poteaux comme des drapeaux ? Quand il m’arrive d’en rencontrer d’autres comme moi je sais sur leur visage la nostalgie, le manque, le souvenir des cendres. Nul ne part de chez soi à moins que chez soi ne soit la gueule d’un requin. J’ai si longtemps porté en bouche l’hymne ancien qu’il ne reste plus de place pour aucun autre chant, aucune autre langue ou aucun autre langage. Je sais une honte qui te couvre d’un linceul, t’engloutit bout entier. J’ai déchiqueté et mangé mon passeport dans un hôtel d’aéroport. Je suis ballonnée d’une langue que je ne peux me permettre d’oublier.
Ils demandent comment vous êtes arrivée ici ? Tu ne le vois pas sur mon corps ? Le désert lybien rouge des corps des migrants, le golfe d’Aden ballonné, la ville de Rome sans veste. J’espère que ce voyage signifie plus que ces kilomètres, parce que tous mes enfants sont au fond de l’eau. Je croyais que la mer était plus sûre que la terre ferme. Je veux faire l’amour, mais j’ai les cheveux qui puent la guerre et courir et courir. Je veux m’allonger, mais tous ces pays sont comme ces oncles qui te touchent quand tu es enfant et endormi. Regarde toutes ces frontières, leurs bouches écumantes de corps brisés désespérés. Je suis la couleur d’un soleil ardent au visage, la dépouille de ma mère n’a jamais été ensevelie. J’ai passé des jours et des nuits dans le ventre du camion ; je n’en suis pas sortie la même. Quelquefois j’ai l’impression que quelqu’un d’autre s’est revêtu de mon corps.
[…]
Je les entends dire rentre chez toi, je les entends dire putain de migrants, putain de réfugiés. Sont-ils vraiment si arrogants ? Ne savent-ils pas que la stabilité est pareille à cet amant à la bouche pleine de douceur se coulant sur ton corps un instant ; et l’instant d’après te voici tremblement gisant sous les décombres et les devises anciennes, attendant son retour. Tout ce que je peux dire, c’est que naguère j’étais pareille à toi, cette apathie, cette pitié, cet accueil à contrecœur et maintenant chez moi c’est la gueule d’un requin, maintenant chez moi c’est le canon d’un fusil. On se reverra de l’autre côté.
Warsan Shire, Où j’apprends à ma mère à donner naissance [Teaching my mother how to give birth, Flipped eye publishing, Londres, 2011], éditions Isabelle Sauvage, Collection corp/us dirigée par Sika Fakambi, 2017, pp. 28-29-31. Traduit par Sika Fakambi.
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.