Anne-Lise Blanchard,
Le Soleil s’est réfugié sous les cailloux, Poésie,
éditions Ad Solem, 2017.
Lecture d’Angèle Paoli
DERRIÈRE LA MENACE, UN CHANT D’ESPOIR
Il faut beaucoup de courage pour faire entendre une voix qui témoigne du martyre infligé de nos jours aux chrétiens d’Orient. Il a fallu beaucoup de courage à la poète Anne-Lise Blanchard pour vivre pendant cinq mois — c’était en 2014 — auprès des populations meurtries de Syrie et pour affronter avec elles le pilonnage des villes la vie détruite la mort brandie comme une victoire.
De cet enfer, Anne-Lise Blanchard a tiré un recueil de poèmes. Le Soleil s’est réfugié dans les cailloux. Ce très beau vers, choisi pour titre de son ouvrage, résume à lui seul tout l’obscur toute la peur qui pèsent depuis des années sur la Syrie. Dans ce chaos ininterrompu de feu et de cendres, où la vie peut-elle donc trouver refuge sinon sous ce qui reste de ce qui fut jadis la beauté et la grandeur d’un pays ? Des cailloux secs qu’aucune eau ne vient plus désormais rafraîchir de son chant.
« Vous quitterez
jasmins et orangers
leurs oiseaux
les fontaines
et les conversations du soir
qui se prolongent ».
Pour la plupart d’entre eux, les poèmes sont marqués d’une date. Août 2014-août 2016. L’écriture et la composition du recueil se prolongent en effet bien au-delà des cinq mois vécus en Syrie aux côtés d’« une jeune association fondée à la suite de la prise de Maaloula… ». La plupart des poèmes, remarquables de densité et de sobriété, égrènent les toponymes de la Syrie détruite. Damas Alep Qalamoun Homs… ou Maaloula, l’araméenne. Mais on croise aussi en chemin les noms de villes assiégées dans les contrées limitrophes, dont Zahlé, au Liban ; Araden ou Duhok, villes irakiennes du Kurdistan ; Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan, au nord de l’Irak. Des noms qui bruissent dans ma mémoire, dans nos mémoires, par-delà nos croyances et nos engagements.
Que reste-t-il de la « mémorable Hellab » ? L’Alep millénaire que j’ai tant aimée est aujourd’hui méconnaissable :
« Voilà Alep
à la blancheur de lait
devenue ce lointain mouroir
sans fin ni commencement »
Alep, août 2015.
Que reste-t-il de « l’antique Emèse » aujourd’hui « flagellée de roquettes rompue d’obus », vouée à la vindicte des « modérés » d’Al Nosra et « marquée au fer rouge » ?
« Nous sommes heureux de nous repaître du sang des chrétiens. »
Homs, août 2014.
Que reste-t-il de la petite Cristina (3 ans) « arrachée des bras de sa mère par les djihadistes à Qaraqosh » ? Il reste une « Berceuse pour Cristina » et un immense chagrin :
« le jour s’est fait nuit
nuit de longue prière
chante mes entrailles
sans commencement sans fin
berçant l’abîme
de ton petit corps »
Ainkawa, avril 2015.
En page de gauche, des phrases isolées rapportent en italiques ce que disent les murs ; ce que les voix font entendre d’appels au secours et de menaces. Phrases notées par la poète au fil des rencontres, au cours des déplacements :
« Tu te convertis à l’islam ou on te coupe la tête. »
« Nous sommes ici chez nous, nous ne voulons pas quitter notre terre de toujours. »
« D’ici quelques années, l’Europe va boire le même calice que nous. »
Poésie engagée alors ? Oui, sans aucun doute. Car Anne-Lise Blanchard prend ouvertement la défense des chrétiens d’Orient. Sa sensibilité à fleur de peau la place d’emblée au cœur de la tragédie syrienne et sa vie bat /se bat pour dénoncer la violence aveugle que Daesh ou Al Nosra font peser sur le pays mais aussi bien au-delà :
« L’élégance aérienne
des norias
aura-t-elle raison
de la fatale pesanteur
des niqabs ? »
Hama, août 2016.
9 août 1942 : Édith Stein, jeune juive convertie au christianisme, arrêtée au carmel d’Echt aux Pays-Bas, meurt à Auschwitz sous le nom de Thérèse-Bénédicte de la Croix.
Le 9 août 2014, Anne-Lise Blanchard évoque à Kessab, en Syrie, le souvenir de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix :
« j’ai pleuré face à la croix
ouverte sur le ciel de Kessab
déchirée mais non vaincue
qu’éventra un tir de mortier
[…]
j’ai chanté à la mémoire
en cette terre d’Orient
des martyrs de la Croix »
Engagée, oui, jusque dans l’écriture poétique :
« Il faut bien
que l’autre parle en soi
pour qu’il y ait poème »
Un très beau chant que celui d’Anne-Lise Blanchard dans ce recueil ; fluide et bouleversant. Empli de l’espoir de résurrection de la Syrie :
« Au coin du cœur veille
un coquelicot
qui garde ouverte
la porte du retour »
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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