L’herboriste
se désespérait. Une légende colportée par des voyageurs vantards et entretenue par des botanistes fantasques, rapportait qu’il aurait existé quelque part dans nos contrées des plantes dont les feuilles se dépliaient comme les pages d’un livre. Des écritures déconcertantes s’y épanouissaient spontanément et y gravaient leurs cicatrices. Quelqu’un aurait consigné, interprété et commenté toutes ces paroles végétales dans un ouvrage savant. L’herboriste était persuadé que ce précieux document se trouvait dans la bibliothèque, mais comme certaines plantes mimétiques adoptent les apparences de leur milieu, cet ouvrage se cachait parmi les livres et, malgré ses recherches obstinées, il n’avait pas encore réussi à mettre la main dessus.
La coiffeuse
lorsqu’un consentement de la reine l’y autorisait expressément, se délectait à tourner les pages des merveilleux ouvrages consacrés à l’art de la coiffure que recelait la bibliothèque. Elle passait un moment délicieux, plongée dans l’Inventaire des peignes et des brosses, où rivalisaient de beautés ornementales des formes de démêloirs d’une incroyable variété, ou dans l’Encyclopédie des toisons, qui présentait à la manière d’un herbier des spécimens de touffes de cheveux, poils et autres crins de toutes provenances. Il lui était arrivé d’en prélever subrepticement quelques pincées, suffisamment pour se confectionner à la longue une perruque composite dont elle se coiffait en cachette, la nuit, devant son miroir.
Jean-Pierre Chambon, Des lecteurs, Harpo & éditions, 2016, s.f.
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