[C’EST UN GENRE DE JOURNÉE OÙ L’ON LAISSE TOUT TOMBER]
C’est un genre de journée où l’on laisse tout tomber. La carafe bleue gît par terre, brisée. Et puis, à tout moment, tu es dans l’une ou l’autre pièce à te demander ce que tu es venue y faire, tu reviens sur tes pas. Si les choses doivent se compliquer de cette façon, alors, dis-tu, autant sortir. Les travaux des champs ont commencé dans la plaine ambrée. Sous les roues des tracteurs, les mottes de pierre égrènent leurs espoirs de vie. Tu vas dans la perception d’un labour. Tout recule et pourtant les billes opalescentes du gui accroché dans un très vieux poirier diffusent dans l’espace tu ne sais quelle promesse. C’est sûr. Quelque chose, quelque part devra bientôt lâcher.
Certains matins il faudrait avoir la force du jour qui se lève, contenir tout entier le chant de l’alouette. Tu t’assieds à la table, tu recenses les mots de tes besoins. C’est vrai que tu préfères aux tâches ménagères les longues journées à composer les multiples espaces autour du moulin. Créer un jardin est un long chemin pour se découvrir, se perdre peut-être, se retrouver. Guérir. On ne sait jamais.
Rien ne se dévoile dans une plaie, pas même les deuils qui s’y cachent. Quand l’homme t’embrasse, tu arrêtes de mourir. Ses mains te dévêtent en écartant le froid. Tes sanglots mis à nu se heurtent à la lumière diffuse et cette nudité soudaine au cœur de tes prières t’ouvre aux désirs d’étreinte. Tu respires une glycine. Tu espères, tu oses croire, sans savoir en qui, ni même si c’est en toi, mais tu espères.
Françoise Matthey, Pour qu’au loin s’élargisse l’estuaire, Éditions de l’Aire, Vevey, 2004, pp. 96-97-98 [Ouvrage actuellement épuisé].
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magnifique...
laurence
Rédigé par : acquaviva-mattei | 08 octobre 2016 à 17:48