Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel ,
éditions Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen »,
volume 228, 2016.
Lecture d’Isabelle Lévesque
De cet espace, je ne garde rien.
J’écris, pour que tout demeure possible.
C. A. H.
Quel après susciter, quel chemin longer pour rejoindre ce qui ne s’atteint pas ? Les épigraphes de Poèmes d’après de Cécile A. Holdban orientent la lecture : « temps perdus dans la ténèbre » pour Novalis, « [t]able rase de la lumière ou de l’ombre » pour Juarroz.
Ce volume publié par Arfuyen rassemble deux recueils. Le premier, Poèmes d’après, est organisé en trois parties. La première est nocturne et hivernale. « C’était une période où Dieu se taisait », prévient l’auteur. Elie Wiesel, dans La Nuit, découvrant l’horreur inimaginable d’Auschwitz-Birkenau, écrivait : « L’Éternel, Maître de l’univers, l’Éternel Tout-Puissant et Terrible se taisait » 1, mais aussi : « Et le monde se taisait ». Ce jour commence donc par la nuit, par le chaos douloureux de la nuit. Nous savons les crimes, les guerres, les violences d’avant et celles d’aujourd’hui. Comment vivre après ?
Sceau de la dispersion : les premiers vers de Poèmes d’après trébuchent sur une interrogation qui fonde ce livre :
« Quelle main rassemblera
les fragments laissés à la nuit ? »
Par sa quête, le poème restitue les fragments d’une unité perdue. L’errance est située dans un temps immémorial et présent : celui des « maisons » où « des toits aux fondations / rien ne tremble ». Quelque chose appelle qui demande à être éveillé, une langue perdue qu’il faut étreindre pour éprouver sa matérialité et sa force, plusieurs langues sans doute pour l’auteur, traductrice et porteuse de cultures plurielles.
Le choix de couverture le figure : le détail de la toile Le Rendez-vous des amoureux, de Tivadar Kosztka Csontváry, rappelle les origines hongroises de la poète et isole le chemin et l’horizon liés par la couleur alors que le couple du rendez-vous, accompagné d’un ange (ou Cupidon ?) aux longues ailes blanches, devenu hors-toile figure l’arrière-pays présent/absent (escompté).
Une langue veut exister, revendique l’unité perdue.
Le roi Nimrod, défiant Dieu du haut de la tour de Babel, semble apparaître au détour d’un tercet :
« Un archer fou veut ficher
ses flèches dans le ciel
toutes elles retombent et se brisent. »
Et la tour se brise aussi, et l’unité humaine. Quelle langue pour écrire après Babel ?
Le poème s’invente par l’épopée créatrice « de toutes les eaux » comme en déluge on sauverait les mots rassemblés qui se lèvent et s’ajoutent les uns aux autres pour constituer le tissu de la langue, « des étoiles aux étoiles » pour rendre la vue. Des unités de sens (de force) se constituent : « vivre » et « naître » en dérivés signifiants fondent et assument le poème qui s’engendre. Au futur, prophétique et accompli, « nous serons », se trouve la direction d’instinct, de destin, « saumons à l’amont du combat des eaux ».
Monde animé, parcouru de forces, le soleil « debout » accomplit sa tâche, la nuit est parfois brisée par ses rayons silencieux, cohorte de mots assignés : ils conduisent les « rêves durcis », filant une métaphore d’équipée maritime porteuse de « soif ». La poésie de Cécile A. Holdban porte une langue de combats, elle ranime des forces amenuisées pour ouvrir l’horizon. L’instrument de lutte, ce sont les mots et les modes : impératifs d’assaut, « [a]ccueille ton capitaine », le futur proche qui accomplit les promesses par la certitude de l’indicatif. Les verbes d’action se dressent dans le vers, succession en parataxe dénotant l’urgence comme l’ordonnance d’un destin que l’on construit. En cela, la liberté guide le vers et associe langue et combat au ciel d’un absolu qui se conquiert. Nulle tranquillité en ces poèmes énergiques, l’heure est aux miracles, « l’océan s’ouvre ». Cela coule (sang, sève), debout et allant. Des vers d’autres poètes sont cités, ceux d’Anna Akhmatova, Janet Frame, de Sándor Weöres, Edith Södergran, célébration par le texte qui entre dans les poèmes de Cécile A. Holdban. Un monde perdu / restitué nous est offert : à cet égard l’emploi strict du verbe « être » comme copule restitue une vocation unificatrice de ce terme : au présent ou au passé, malgré la fragmentation. Ce qui est écrit passe par une assimilation directe de réalités (métaphores), comme si sans détour les équivalences établissaient des évidences incontestables. Le passage par la lutte permet au poème de renouer avec la clairvoyance (foi en ce que la poésie peut délivrer).
Des scènes sont imaginées, envisagées, revécues : fulgurance d’ogre pourléché, un enfant « blotti au chaud dans son ventre », il « dévore la lune entre les dents des feuilles ». Ces visions, secouées par des « peut-être », font surgir des hypothèses inattendues, lune poursuivant sa course dans le ventre de l’ogre « mais qui n’éclaire rien », des réalités cachées sont envisagées qu’il nous faut détecter. Poète déchiffreur, poète « peut-être » dans un « ciel bleu muet » captant « dans ce long cri muet/caressé au ciel » un « OISEAU » majuscule, alors la lecture de ce monde devient poème, un miracle accru, « courants invisibles/perdus pour l’amour ». À la troisième personne se jouent l’histoire, l’épopée, la mémoire. Les trois, ensemble, augurent le temps révolu, mythe créé d’une lecture atemporelle de la réalité dans laquelle chacun avance aveuglément. Aveuglement temporaire, puisque le voile est levé par celui ou celle qui, parcourant les surfaces vides (mystérieuses ?), « les yeux collés à la vitre », verra : « un arbre a poussé là / où la croix s’est défaite et les branches sont tombées ». Alors « il marchera » « avec d’autres langues », elles portent les disparus car chacune révèle celui qui la parla. Ce dernier poème de la première partie porte pour titre le nom de l’observatoire astronomique qui mesure avec précision la distance de la Terre à la Lune : « Apache point ». La Lune nous rappelle que le Soleil n’est pas mort. Elle donne sa lumière quand la nuit s’impose. La Lune féminine, Séléné ou Luna, commande aux océans et à leurs marées. Les folies qu’elle provoque ne sont que passagères.
La seconde section du livre est consacrée à la petite fille que la femme porte en elle. Comme le dit le poème de Sándor Weöres, ici traduit et placé : « Et l’enfant vieillard que j’étais, / je le porte avec moi dans un cercueil minuscule / comme une amulette. » Cette « petite-fille » se déplace « à cloche-pied » sur la grande marelle des âges, tout est possible, l’avenir est ouvert, et le poème chante :
« aucun escalier aux abois
aucun brasier funeste [ 6 syllabes]
ni corbeaux aux jardins [ 6 syllabes]
ni ton sang dans les sources [ 6 syllabes]
ni chapelle où renoncer
aucun blason, aucun centaure, aucun guerrier [ alexandrin trimètre]
sous un ciel de dentelle, de jasmin et d’étoiles [ deux hexasyllabes]
tu sautes à cloche-pied »
Poème d’après la nuit, d’après les guerres. De quelle robe s’habillera la « petite fille » ? « Les oiseaux du jardin », ceux qui « connai[ssent] les secrets de [s]a nuit v[iendront] s’y poser ». Une robe de lune ? Cette « lune / envers du visage, œil aveugle et blanc de paroles / ouverture à la perte aux échecs aux aiguilles… » ? Vient-elle de la lune cette « cuve de néant versée sur les montagnes, une lune lumière de la nuit ?
La « fillette » se livre au jeu des dînettes « dans sa maison de poupée », ici ou près « des minarets » dans le déplacement constant de la fable, des contes et des langues. Elle voyage. Comme dans une chanson traditionnelle, un marin invite la jeune fille à monter dans son bateau. Mais la chanson finit mal. La « petite fille » doit combattre les chimères, les images serrées les unes contre les autres l’arment : elle et son fil face à « l’ombre du Minotaure ». Plusieurs poèmes sont lancés par une remémoration, une adresse ou un appel à sourdre. Autour, les arbres, l’étang, l’ogre hiver, les personnages vivants de la fabuleuse histoire visitent les rêves dont il ne restera rien, « quelques osselets / l’ivoire dur du ciel ». Comment y voir ? Les symboles mêlés, formes des nues révélées, avalent le silence de la petite fille, « sa présence absolue voudrait / renouer l’univers ».
On perçoit l’union entre la poète et les éléments d’un monde dont on entrevoit la proximité secrète : mouette de l’océan cherchant ses oeufs dans les rochers, quelqu’un la regarde qui voudrait être l’objet de sa quête. Une porosité existe entre le vivant, lieu du désir, et la nuit : l’obscur est la page de Cécile A. Holdban, elle y écrit son poème – ou le rêve. L’impossible n’est pas écarté, tout palpite et se vit, dans le monde animé de l’océan, des abysses. Victoire fragile du poème qui existe et fait émerger « des créatures rares et sombres ». Les légendes et les mythes fondateurs se déroulent sur un ciel animé d’intentions et de gestes. On pénètre les lieux secrets d’une conscience où se mêlent des éléments culturels alors que la voix de la petite fille ne s’éteint pas. Elle relit ses cauchemars, transforme ses souvenirs en visions traversées de force que la nuit libère. Les vers courts du début de livre cèdent à l’ampleur du conte pour des versets qui secrètement visent, à force de flèches, une identité polymorphe et entière :
« si je suis venue, et l’oiseau à ma suite, c’est pour trouver mes yeux
dans l’océan, où le regard est double. »
Activation sans fin d’une démarche qui se nourrit d’écume et de mots comme racines et ciel se joignent. Affirmation de volonté farouche : la poète retrouve des silhouettes, les décrit – les enchante :
« Tu te penchais sur la terre en toute saison, creusant de tes mains, tu semais, tassais, cueillais, caressais et frappais la terre. »
Ainsi soient les gestes retrouvés, séparés d’un ancrage précis, l’immémorial affirme son règne dans un présent immédiat et oraculaire. Les pronoms personnels tournoient : qui parle ? Ou plutôt : d’où partent ces voix sans cesse ? Polyphonie de cette « bouche » où « s’enlacent / les fleurs les fruits les oiseaux », ici l’impossible dans ces voix qui se mêlent et s’aimantent. Alors la « petite fille » « referme la boîte de sa maison » qui « brûle », elle « prend son cahier et commence à écrire ». Partir, grandir, mûrir, écrire.
Dans la troisième partie, nous atteignons un autre paysage. Le monde se découvre dans sa réalité. Il s’agit d’abord de le nommer avec les mots justes. La voix qui s’élève ne s’arrête pas, nourrie d’identités multiples, elle se refuse à une définition unique, comme ne cesse l’énumération des biens hirsutes et libres qui nourrissent les listes sans fin :
« Aubier, souche, sève, écorce, pousses ligneuses, bourgeons, pétioles, aiguilles, tiges, segments, arêtes, résine, drageons »…
Ces trésors, pour nous engendrer à l’infini : fruits de reliefs, de saveurs, délibération ouverte aux osmoses, l’écriture s’alimente dans l’inépuisable, le poème est cette trace mystérieuse et polysémique qu’elle a générée. Ici les virgules suivent ce mouvement fou de multiplication, il le suit comme il appelle encore, toujours, de nouveaux noms à énumérer. Alors l’impératif (« Murmurez, bénissez, soyez… ») invite à épouser cette prolifération, le poème veut la vie autant que la vie le requiert. La poète marcheuse « tête levée » perçoit les nuages (répétés, ils envahissent le poème) : leur texture, leur visage, leur symbole, leur parole, voici que par le regard tout devient ces nuages, « ton œil renverse le ciel pour leur offrir l’abri ». En cela, l’ombre et la magie se joignent pour délivrer l’impossible, une force va qui réduit les contraires à de la poussière d’or. L’aube, l’enfance existent toujours, mais portées par un autre âge :
« Il y a dans le paysage de midi quelque chose de figé qui pourtant tremble,
un paysage portant moins loin le regard que l’offrande d’un oui
et des dons passe-murailles d’une solitude à l’autre »
Ce qui change tout, à commencer par le poème, c’est la rencontre, l’amour :
« Si je mâche mes mots, longtemps, infiniment
c’est pour qu’ils soient de l’eau
c’est pour qu’ils soient liquides, qu’ils soient rendus au bleu
c’est pour que tu y plonges
et que tu m’y retrouves. »
Vers, prose, échappée narrative à peine, d’une teneur fabuleuse, au miroitement de la reconnaissance une parole revient, « c’est toi » ponctuant chaque fin de vers d’un autre poème :
« ma source et mon désert et ma Jérusalem – c’est toi
mon soleil souverain, mon berceau et ma nuit – c’est toi. »
La poète énonce sans fin, retournant au miracle d’un paysage devenu l’aimé applaudi et fêté.
Les trois parties du recueil contiennent des poèmes (ou des extraits) traduits de six poètes écrivant dans six langues différentes : trois fois Janet Frame (néo-zélandaise) en anglais, deux fois Sándor Weöres en hongrois, Roberto Juarroz (argentin) en espagnol, Anna Akhmatova en russe, Novalis en allemand, Edith Södergran (finlandaise) en suédois. C’est que les poèmes sont toujours des poèmes d’après d’autres poèmes, ceux qui ont été lus, éventuellement traduits. Les poètes sont lecteurs et habités par les voix de ceux qui les ont précédés et touchés.
« Les morts sont bien morts. Mais ils ne dorment que d’un œil. Dans les cimetières poussent les crocus. Ce sont les flèches. Le soleil monte lentement de la terre. »
Cécile A. Holdban, née en Allemagne avec des origines hongroises et vivant en France, traductrice du hongrois et de l’anglais, l’éprouve en sa voix. C’est ce qu’Armand Robin 2 appelait le « monde d’une voix » 3. Dans la présentation qu’il faisait de ses traductions de trente-quatre poètes écrivant dans dix-huit langues différentes, il déclarait : « […] je me fis tous les grands poètes de tous les pays de toutes les langues. J’atteignis un Eden d’avant la Tour de Babel ; tous y parlaient une outre-langue […]. Eux-moi sommes UN. Je ne suis pas face à eux, ils ne sont pas face à moi. Ils parlent avant moi dans ma gorge, j’assiège leurs gorges de mes mots à venir […]. » 4 Dans Ma Vie sans moi, il mêlait des poèmes traduits et des poèmes personnels. Dans le volume Poésie/Gallimard de 1970, l’éditeur a choisi de mutiler l’œuvre et de ne publier que les poèmes personnels.
Dans Poèmes d’après, les poètes francophones sont présents eux aussi ; ils sont les exclusifs dédicataires. Ils sont cinq, tous bien vivants : le Suisse Philippe Jaccottet, Lórand Gáspár, Français d’origine hongroise, Jean-Marc Sourdillon, Thierry Gillybœuf et Estelle Fenzy. Les quatre premiers d’entre eux sont aussi traducteurs. Leurs univers se reconnaissent dans les poèmes qui leur sont dédiés.
Les poèmes d’avant sont bien dans les poèmes d’après.
La Route de sel ne contient aucun poème traduit. Son sous-titre désigne une dédicataire : Poèmes pour Emilia. S’agit-il d’Emilia Wandt 5 ? Sur le titre on s’interroge également. Quelle est cette route de sel ? Les Poèmes d’après nous assuraient qu’« à l’océan détourné par les vagues, certains soirs / un chemin obscur est promis », chemin aux « nourritures salées ». Et Janet Frame ajoutait par la voix de Cécile A. Holdban que « L’eau salée est poésie ». Cette route de sel, sans doute est-ce le chemin de poésie, avec son sel nourricier, son sel qui brûle aussi. Les routes océanes ne sont pas tracées, ce sont les plus risquées et les plus belles. Mais le sel de la vie, c’est aussi celui du vent, le « sel d’autan » 6 et le sel des larmes, en cette eau qui n’apaise pas les plaies :
« Les larmes ne cicatrisent rien
étincelles trop proches
d’un fer rougi »
Les blessures sont toujours présentes, ouvertes, saignantes, les blessures de ce qui commence à finir en naissant même. Comment, sans les refermer, les apaiser ? Pour cela : printemps et eau fraîche de la pluie. L’annonce est clairement formulée : « le printemps arrive ».
« Il faut guetter la nuit
la dérobée
une veine d’eau vive
pour le cœur apaisé
chercher la faille
où glisser ce baume
l’ombre sur la plaie du jour. »
Pierre-Albert Jourdan écrivait au printemps qui commence, le samedi 27 mars 1980 : « Frémissement, mot admirable, habillé de feuilles et de chair, de vent et d’amour. » 7 Cécile A. Holdban confie à son tour :
« Mars,
la barque du ciel glisse d’un jardin à l’autre
vent, vagues, frémissement
à la cime des arbres ».
Tels sont les mouvements ascendants et descendants, du ciel vers la terre et de la terre vers le ciel, de la sève, du sang et de l’eau. La vie est un échange. Notre galaxie est blanche comme le sel et, vue de loin, semble une route, c’est la « Voie lactée ». Simples individus, nous ne sommes pas grand-chose parmi tant d’infinis, pris entre la première division de l’atome et un achèvement impossible à calculer : « Au silence réuni de l’atome / la trame du cosmos / d’avant, bien avant / forgea l’ombre entre les étoiles ». Nous venons bien après « le vieil Éden ». Les « étoiles », les « constellations » et leur « langue de feu » traversent le texte pour nous situer. Les poèmes créent des liens, tressent des fils pour nous guider dans les labyrinthes extérieurs et intérieurs :
« au-delà de mon corps j’ai étendu un arc
et relié les mondes – point démultiplié »
Des fleurs innombrables traversent les poèmes, comme les arbres qui viennent de l’intérieur de la Terre pour grimper vers le ciel (« les arbres sont des passerelles »), ou les oiseaux qui vont du sol au ciel : le printemps paraît une grande fête de la vie organisée par le dieu-lune, le grand Pan.
La tour de Mélisande se dresse dans le ciel au royaume d’Allemonde dans l’opéra de Debussy et Maeterlinck. Mélisande se coiffe à sa fenêtre et chante que ses « longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour ». Pelléas les prend dans ses mains et chante à son tour : « Je les tiens dans les mains, je les tiens dans ma bouche… Je les tiens dans les bras, je les mets autour de mon cou… Je n’ouvrirai plus les mains cette nuit… » 8 Ce chant d’amour sensuel retentit dans les poèmes de Cécile A. Holdban. Était-ce déjà Mélisande qui, dans Poème d’après, « démêl[ait] sa chevelure » ? Dans La Route de sel, une « tour jaillit » de la nuit. Mélisande apparaît, mais au bord de la fontaine où elle a laissé tomber la bague de Golaud, elle va rencontrer Pelléas.
L’eau, le printemps apaisent les blessures, mais plus encore l’amour écarte le pire. La figure de l’amoureuse dans La Route de sel éclabousse les poèmes d’éclats vivants, plumes, pétales : « sur ma paume / quelques lignes de sang ». La « femme tourelle » (tour, tourelle et tourterelle), se révèle protectrice, et sa verticalité de songe guide les pas du marcheur qu’elle attend, « une seule présence / pour que surgisse le jour ». Soleil et lune, en une croisée singulière dans le ciel de Cécile A. Holdban, nous apprennent que le destin des astres n’est pas incompatible. Le ciel les ouvre aux traversées et à l’alliance, le paradis perdu peuplé d’oiseaux merveilleux interpellés depuis la terre ; ils unissent la mer à la route, l’aube aux routes célestes, intercesseurs hardis comme les poètes lus ou traduits qui offrent leurs forces convergentes dans l’énigme de l’univers parcouru de signes fous. Bien des lignes ne seront pas décryptées, c’est que le vol, nourri de son élan, ne se lit pas, il se suit du regard dans le mystère de sa trajectoire de mars. Sur la page, l’un des derniers poèmes, haïku, parole de vent :
« Ici
rien que des mots
le désir est ailleurs »
où tremble, peut-être, le fil nu de l’encre du poème.
Isabelle Lévesque
D.R. Texte Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes
________________________________
1. Elie Wiesel, La Nuit, Éditions de Minuit, 1958/2007, page 77.
2. Armand Robin (1912-1961) avait le breton comme langue maternelle. Il apprit le français à l’école, puis une vingtaine d’autres langues. Il fut le premier traducteur de nombreux poètes, dont Anna Akhmatova. Il traduisit du hongrois André Ady et Attila József.
3. Armand Robin, Ma Vie sans moi suivi de Le Monde d’une voix, Éditions Gallimard, 1970. Sur le sort éditorial de ces textes, voir le site de Françoise Morvan :
https://francoisemorvan.com/recherche/edition/armand-robin/.
4. Armand Robin, Poésie non traduite, Éditions Gallimard, 1953, page 11. Les deux volumes de Poésie non traduite n’ont jamais été réédités.
5. Poète néo-zélandaise méconnue que Cécile A. Holdban traduirait ? Mais existe-t-elle vraiment, cette Emilia cousine d’Emily Dickinson ?
6. En latin, altanus ventus signifie « le vent qui vient de la mer ». Dans le Sud de la France, c’est un vent du sud-est, qui vient donc de la mer. Il est réputé pouvoir faire perdre la tête… « ma raison glisse / plus loin encore », lit-on dans l’un des poèmes.
7. Pierre-Albert Jourdan, Les Sandales de paille (Notes 1980), Éditions de L’Ermitage, 1982, page 39.
8. Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande (pièce et livret), Éditions L’Escalier, 2010, page L25 (livret Acte III, scène 1).
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CÉCILE A. HOLDBAN
■ Cécile A. Holdban
sur Terres de femmes ▼
→ À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
→ Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
→ Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
→ [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
→ Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
→ Toucher terre (lecture d'AP)
→ Îles (poème extrait du recueil Toucher terre)
→ [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
→ Xénie
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) [Je ne tuerai point]
■ Voir aussi ▼
→ (sur La Pierre et le sel) Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
→ (sur le site des éditions Arfuyen) la page de l'éditeur sur Poèmes d’après suivi de La Route de sel, de Cécile A. Holdban
→ (sur le site des éditions Arfuyen) une fiche bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban
→ (sur le site des éditions de la Lune bleue) une notice bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban
■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
sur Terres de femmes ▼
→ Max Alhau, Les Mots en blanc
→ Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
→ Gabrielle Althen, Soleil patient
→ Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
→ Edith Azam, Décembre m’a ciguë
→ Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
→ Mathieu Bénézet, Premier crayon
→ Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
→ Claudine Bohi, Mère la seule
→ Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
→ Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
→ Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
→ Fabrice Caravaca, La Falaise
→ Jean-Pierre Chambon, Zélia
→ Françoise Clédat, A ore, Oradour
→ Colette Deblé, La même aussi
→ Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
→ Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
→ Pierre Dhainaut, Après
→ Pierre Dhainaut, Ici
→ Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
→ Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
→ Pierre Dhainaut, Voix entre voix
→ Armand Dupuy, Mieux taire
→ Armand Dupuy, Présent faible
→ Estelle Fenzy, Rouge vive
→ Bruno Fern, reverbs phrases simples
→ Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
→ Aurélie Foglia, Gens de peine
→ Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
→ Laure Gauthier, kaspar de pierre
→ Raphaële George, Double intérieur
→ Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
→ Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
→ Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
→ Sabine Huynh, Kvar lo
→ Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
→ Mélanie Leblanc, Des falaises
→ Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
→ Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
→ Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
→ Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
→ Dominique Maurizi, Fly
→ Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
→ Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
→ Nathalie Michel, Veille
→ Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
→ Jacques Moulin, L’Épine blanche
→ Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
→ Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
→ Hervé Planquois, Ô futur
→ Sofia Queiros, Normale saisonnière
→ Jacques Roman, Proférations
→ Pauline Von Aesch, Nu compris
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