Esther Tellermann,
Sous votre nom, Flammarion,
Collection Poésie/Flammarion, 2015.
Lecture de Matthieu Gosztola
Esther Tellermann interroge dans ses recueils de poèmes – ainsi dans Sous votre nom – la surprise trouble de ce qui est, trouble éclatant, et qui confine à la beauté la plus sauvage, c’est-à-dire la plus évidente, à la beauté telle que les Grecs l’ont érigée, telle qu’ils l’ont reconnue, telle qu’ils l’ont sauvée.
« Les Grecs », écrit Jean-Marie Pontévia dans Tout a peut-être commencé par la beauté (William Blake And Co, 1985), « ont inventé une façon d’être au monde qui pourrait se dire “être-dans-la-beauté” : ils ont saisi l’Être en tant que Beauté, c’est-à-dire dans un mode particulier de la Présence. Ils ont éprouvé l’apparence comme resplendissante et ravissante […], comme saisissante. C’est dire qu’ils ont accordé un privilège à tout ce qui, dans l’apparence, brille, scintille, étincelle, resplendit, mais on aurait tort de croire un peu vite que c’est là un trait de naïveté primitive ; c’est nous qui sommes des primitifs, de croire que seul l’or brille. Pour les Grecs l’éclat de l’apparence était perceptible là où nous ne le soupçonnons même pas. »
Cet éclat de l’apparence, éclat pluriel et renversant, littéralement désarçonnant, est visible partout dans le réel lorsque celui-ci est vraiment (c’est-à-dire avec la vérité propre à notre expérience d’avant les dogmes, d’avant les topoï) senti, ressenti, pesé, vécu. Autrement dit par la grâce de l’être aimé (par la grâce – vraie grâce – non de l’amour mais de l’être aimé) ; être vrai – et éprouvé comme tel – (véritable un, face à la multitude) qui agrandit notre regard, en agrandissant le trouble que vivent nos yeux, autrement dit en agrandissant le souffle – trajectoire intérieure, trajectoire intime – que nos yeux font résonner de mille et une couleurs, cela en vivant, de mille et une nuances de noir, aussi, ainsi que nous le confie, d’implicite manière, tout au long de son recueil, Esther Tellermann.
Et les poèmes de cette auteure sont des stèles, de véritables stèles faisant réponse au « grand réel » : à l’éclat de l’apparence, à l’éclat trouble du mystère (seule apparence) donné à notre vie des mains de l’être aimé, Esther Tellermann se plaçant dans la lignée de Jean-Paul Michel, de ses Écrits sur la poésie (Flammarion, 2013).
« J’appelle “Poème”, écrit Jean-Paul Michel en ce volume, toute manière humaine de faire face au grand réel ; tout geste esquissé pour lui répondre, toute forme risquée pour lui donner contrepartie. Marques, bornes, menhirs, totems, cippes, stèles, la danse et le chant, les peintures tégumentaires, la coiffure, le vêtement, le cérémonial de chaque jour – les livres : autant de voies pour cet affrontement d’impossible en face. Ces sorcelleries font signe vers la nécessité de nous détourner de ce qui serait funeste. Elles parient avec audace sur une augmentation possible de ce qui est. »
Quelques poèmes ravis au bel ensemble qu’est Sous votre nom :
Jours firent
de toi
ma teinture où
j’épuisais le monde
lunes mouillées avaient
la rondeur
des sommeils
je comptais les passages
pour que reviennent
la vigne le bleu
des univers
dessinais
votre cœur.
Des fenêtres qui
bourdonnent
refont la durée.
*
M’avait-il donné
l’empreinte
de sa tempe
un mot que dépose
une pluie ?
Un instant une
syllabe
une ville
autrement
des sillons dans
les soirs
puis tout à coup
se retire
votre nuit
qui m’éveille.
*
C’est vrai
je voulais
épuiser ma cendre
ou peut-être
une nostalgie
des forêts
des silences
où s’enfouissent
les morts que séparent
les voix.
Nous voici
étrécis dans
le bleu
où sombre
ce qui
chante.
*
Nous nous étions
parcourus
l’un l’autre
en nos paumes
parlions de neige et
de souffle
et comment s’allume
une chambre
ou encore
quelle mer
descend et nous
absout
nous rapatrie.
Matthieu Gosztola
D.R. Texte Matthieu Gosztola
pour Terres de femmes
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