DÉPART AU DÉSERT
Simone Weil, in memoriam
Quitter soudain
la table du repas
et sans autre arme que son corps
s’en aller là-bas où les hyènes rient.
Rendre visite aux pierres
qui se levèrent elles aussi un jour
pour revêtir la raideur de millions d’années.
Tendre l’oreille pour épier
la faible plainte enfantine
au sein des sources cachées
qui veulent jaillir au monde
pour désaltérer les langues d’étoiles assoiffées —
le zodiaque des langues
qui lapent la lune opaline
et perdent tout leur sang
dans le frémissement rubis du soleil.
Se lever soudain de table
s’enfoncer dans la racine de minuit
laisser un éclair fulgurant
déchirer notre poussière.
Voir devant soi dans les sables du désert
le mirage vert des flammes végétales
la blancheur insoutenable des secrets dévoilés
la prière qui se déverse par les jointures de la mort
et les neiges éternelles de la rédemption —
Nelly Sachs, in Europe, revue littéraire mensuelle, août-septembre 2015, « Henri Heine | Nelly Sachs », n° 1036-1037, pp. 207-208. Traduit de l’allemand par Barbara Agnese.*
____________________________
* Ce poème de Nelly Sachs, resté inédit jusqu’en 2005, a probablement été composé en 1952-1953 (pour en savoir plus, se reporter à la page 208 de la revue Europe).
|
Retour au répertoire du numéro de septembre 2015
Retour à l’ index des auteurs
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.