9 août 1940. Cela relègue très haut et très doux les effets du vent, les oiseaux et les papillons eux-mêmes. Et le concert vibrant de myriades d’insectes. D’aspect sénile, chenu comme la barbe des vieillards nègres. On est très bien là-dessous, tandis qu’aux faîtes il se passe quelque chose de très doucement balancé et musical, de très doucement vibrant. Il faut qu’à travers ces développements (au fur et à mesure caducs, qu’importe) la hampe du pin persiste et s’aperçoive.
Tels mâts du pied jusques à mi-hauteur Tout frisés, lichéneux comme un vieillard créole, Sans nulle gêne entre eux de lianes ou de cordes, {(Sans planche lisse au sol) { Sans planches lavées au sol mais des tapis épais, (coiffures) Et portant au ciel des { chapeaux coniques et verts Que traverse le vent, qui tamisent la lumière… Non des voiles tendues, mais quelques fruits serrés Comme des ananas…
9 août 1940. — Le soir. Non ! Décidément, il faut que je revienne au plaisir du bois de pins. De quoi est-il fait, ce plaisir ? — Principalement de ceci : le bois de pins est une pièce de la nature, faite d’arbres tous d’une espèce nettement définie ; pièce bien délimitée, généralement assez déserte, où l’on trouve abri comme le soleil, contre le vent, contre la visibilité ; mais abri non absolu, non pas isolement. Non ! C’est un abri relatif. Un abri non cachottier, un abri non mesquin, un abri noble. C’est un endroit aussi (ceci est particulier au bois de pins) où l’on évolue à l’aise, sans taillis, sans branchages à hauteur d’homme, où l’on peut s’étendre à sec, et sans mollesse, mais assez confortablement. Chaque bois de pins est comme un sanatorium naturel, aussi un salon de musique… une chambre, une vaste cathédrale de méditation (une cathédrale sans chaire, par bonheur) ouverte à tous les vents, mais par tant de portes que c’est comme si elles étaient fermées. Car ils y hésitent. Ô respectables colonnes, mâts séniles ! Colonnes âgées, temples de la caducité.
Rien de riant, mais quel confort salubre, quelle température des éléments, quel salon de musique sobrement parfumé, sobrement adorné, bien fait pour la promenade sérieuse et la méditation.
Tout y est fait, sans excès, pour laisser l’homme à lui seul. La végétation, l’animation y sont reléguées dans les hauteurs. Rien pour distraire le regard. Tout pour l’endormir, par cette multiplication de colonnes semblables. Point d’anecdotes. Tout y décourage la curiosité. Mais tout cela presque sans le vouloir, et au milieu de la nature, sans séparation tranchée, sans volonté d’isolation, sans grands gestes, sans heurts. Par-ci, par-là, un rocher solitaire aggrave encore le caractère de cette solitude, force au sérieux.
Ô sanatorium naturel, cathédrale heureusement sans chaire, salon de musique où elle est si {discrète {douce et reléguée dans les hauteurs (à la fois si sauvage et si délicate), salon de musique ou de méditation — lieu fait pour laisser l’homme seul au milieu de la nature, à ses pensées, à poursuivre une pensée… … Pour te rendre ta politesse, pour imiter ta délicatesse, ton tact, (instinctivement je suis ainsi) — je ne développerai à ton intérieur aucune pensée qui te soit étrangère, c’est sur toi que je méditerai : « Temple de la caducité, etc. »
« Je crois que je commence à me rendre compte du plaisir propre aux bois de pins. »
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FRANCIS PONGE Ph. Louis Monnier Source ■ Francis Ponge sur Terres de femmes ▼ → 27 mars 1899 | Naissance de Francis Ponge → 6 février 1948 | Francis Ponge, Pochades en prose → 10 avril 1958 | Francis Ponge, La figue → 29 mars **** | Le Verre d’eau de Francis Ponge → Les hirondelles → Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP) |
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