Tarabuste Éditeur, Collection DOUTE B.A.T., 2014.
Lecture d’Angèle Paoli
MÈRE À L’ENFANT Elle est poète et elle peint. Elle peint et elle aime les arbres. Elle aime aussi les contes qui nourrissent l’enfance. Reine des Neiges et Poucet. À qui dire les histoires et en transmettre le mystère sinon à « l’Infant » si ardemment désiré si patiemment attendu si patiemment aimé ? Luce Guilbaud tisse avec ses mots de poète — tendresse et angoisse — l’histoire complexe qui la relie à l’enfant. Mère ou l’autre, tel est le titre du recueil qu’elle consacre à l’expérience toute particulière de sa maternité. Pas une maternité comme les autres, non ; mais une maternité de l’attente de l’enfant nouvellement arrivé par adoption. Maternité et administration. Maternité et questionnements. Maternité et reconnaissance. Maternité et amour. « on nous a prévenus il y a deux jours que nous devions venir chercher notre enfant “notre enfant” ? » Première difficulté, premiers questionnements, liés à l’identité et à l’appartenance. De l’un à l’autre de l’autre à l’un : « fils mon fils mon — possessif impossible est-il à moi ? qui est à qui ? (acquis) à lui d’abord puisque trouvé/ se trouver/ se rencontrer/ s’accepter avec l’obsession du danger de passer à côté. » L’attente de cet enfant ― un fils ― se fait avec son « éboulis » d’images cavalcantes. « Putto dodu joufflu fessu » et « anges à trompettes ». Mais pour l’arbre. Lequel choisir ? C’est le vent qui décidera et la poète cèdera. « J’écouterai les indices du vent » ; « j’écarterai l’écorce de mes ongles […] et mon fils viendra ». La poète-peintre se prépare au devenir mère ; se projette en rêve-mère-à-l’enfant-du-Quattrocento ; travail de longue haleine sur les mots et sur les gestes à venir ; gestation qui se fait dans le presque recueillement, et dans la crainte. « celle qui a reçu l’annonce ne parle plus traverse le mystère avec la lumière elle prépare ses portraits sa pose de femme assise en représentation du geste de maternité avec enfant simulacre sur les genoux ses bras presque ouverts pourraient lâcher laisser tomber… » La venue de l’enfant n’est pas simple. Elle s’accompagne d’un lot de sentiments contradictoires — angoisse et joie — extrêmes ; perplexité et innocence, inquiétude et délices. Surviennent aussi les interrogations infinies qui agitent l’âme et déconcertent. Sans réponse. Énigmes impossibles à résoudre. La mère et le fils. Le fils et le père. La mère et l’autre. L’enfant et l’autre mère. Il faut attendre. Prendre patience. « que dit-on à un enfant que l’on n’a jamais vu et qui est votre enfant ? » « d’où viens-tu dit le père ? qui es-tu ? » (et lui continue à te regarder de ce regard qui dit tellement qu’il se demande ce que tu lui veux). Qui est la mère ? La vraie ? La mère originelle ou l’autre ? Celle qui a nourri l’enfant dans son ventre puis l’a abandonné ? Ou celle qui ne l’a pas porté mais l’accueille, gestes menus de la tendresse quotidienne, de l’amour par décision d’amour ; enfant livré dès sa naissance à l’impossible de sa venue au monde et qu’il faut consoler, aider à grandir : « qui met au monde ? quelle mère ? » L’histoire de l’enfant et de sa mère, de ce qui les sépare et les unit, se précise au fil des pages, dans la lenteur, poème après poème. Une histoire bouleversante et une poésie troublante. Faite de mots simples, et d’observation de soi et de l’autre. Souci de comprendre, de partager, d’aimer. La mère adoptive s’ancre dans son rôle de tisseuse inlassable. Travail patient des jours autour du tout-petit, de ses apprentissages, de ses pleurs, de ses jeux. C’est elle qui donne, ses mots et ses regards ; qui cultive pour lui les gestes de l’amour. Elle est mère par décision, décision de transformer la vie de l’enfant, de rendre cette vie plus douce : « il est entré seul dans sa vie à travers sang et larmes « je serai cette mère pour lui donner à vivre. » Et pourtant quelque chose manque, qui fait obstacle et que l’enfant cherche, obscurément ; un manque que la mère ne parvient pas à combler : « parce qu’elle a creusé en toi ce manque inguérissable elle sera toujours là comme un fantôme te tirant vers le noir quel amour faudra-t-il pour te guérir de l’absence originelle ? » Attentive au moindre « froissement de ses doigts de ses paupières », la mère doit apprendre, apprendre et accepter cette souffrance ; ce déchirement intime : « j’apprends dans ses voix intérieures qu’il n’aura jamais assez de noms de mère. » L’arbre grandit, nourri par la sève de racines profondes. L’enfant grandit aussi autour du « Nom » qui lui a été donné. Un nom qui le fait naître à sa famille, greffe d’enfant sur tronc solide, à « ligaturer doucement ». L’attente se poursuit ; persiste. Au-delà des jours, éducation et croissance. Liée à l’enfant dans son histoire avec sa mère : « une mélodie clématite s’enroule autour de lui l’habille un baiser sur la joue d’où vient-il pour devenir mon enfant ? c’est le vivant de mon attente. » Liée aussi à la recherche du père, tout aussi complexe et douloureuse : « recherche de père en lentes remontées de rivières séminales chemins en creux en vide raturés quel père hissé haut tel fanion celui qui revendique l’enfant ? celui qui ignore son spasme ? quel Père quel Fils ? » Pas après pas, patiemment, dans l’écoute de la mère et de l’enfant, au travers de leurs voix et de leurs échanges, se noue le vrai lien. Celui qui met au monde la mère. |
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