Recours au Poème éditeurs, 2014.
Préface de Gwen Garnier-Duguy – Postface de Marc Kober.
(226 pages - en téléchargement, 7 €)
Lecture d’Isabelle Lévesque
Être cela Réconcilié prodigue Au foyer du jour affermi Disant tout bas La proximité du silence Pour que le signe inestimé S’arrache à l’exubérance des simplicités E-C F. Le paradoxe engendre l’unité. Telle assertion pourrait ouvrir au chant d’Élie-Charles Flamand tant à le lire se jouxtent des vocables exclus. Là, en ce lieu étreint (le poème), se lient d’impossibles contraires. Forgeant le poème, le feu les rapproche, « ces oiseaux qui font découvrir l’or », « chouette noire » initiatrice du mystère. Acceptons de nous rendre où sonne « tout ce que la terre renferme de précieux ». Recours au poème éditeurs, pour cette anthologie d’Élie-Charles Flamand, a choisi de rassembler des poèmes écrits sur « plusieurs décennies », Marc Kober le précise en postface, plus de 200 pages pour risquer l’entrée où se perd, nécessairement, le lecteur constamment bousculé. L’ordre chronologique des parutions est respecté, de 1957 à 2014 : ainsi s’approche le Labyrinthe ou la figure étoilée du texte aux branches multiples. Ténèbres et lumière se heurtent. À armes égales, la lutte constante engendre, dans le vacillement des assises, une écriture de l’impatience et de l’absolu où tout se conquiert. À l’invisible « passerelle » des êtres et des mots se fier pour étreindre la « perle nocturne » dans « l’écrin mobile du vent ». Il s’agit de se mouvoir, peu importe le heurt : il est fécond. Génère l’unité qui n’écarte aucune étoile dans sa « course ». À ce prix, l’« embellie » ou le Phénix retrouvé du mythe originel surgi d’« une sphère d’agate ». « [V]ertigineusement » : l’assaut ne saurait être mesuré. Le Poème assume et absout le poids des forces contraires. Concentrées, elles laminent l’horizon d’écriture autant qu’elles l’ensemencent. Les oppositions, mouvements, couleurs, enfantent une matérialité étincelante (« le rubis de mon sang ») : le symbole secoue la certitude. Il faut abattre – ses cartes. Enchanter l’espace des « serres » accrues de l’ombre. Retourner /dériver /parcourir. Le sujet flamboyant, « je », que rien ne protège, quête la clef du destin comme du mystère. Poème. Aurifère éclat des vers. Jamais seul, le poète interpelle, vocifère parfois, appelant à lui la source qui le nourrit, l’être qui le guide : femme et ses baisers, le « pont » qui unit les éléments dissociés et fonde l’ordre des images et du chemin à suivre. Comme sont opposées les lignes et les forces, le baiser peut devenir noir et mortel, alors ce sont ses gerçures, ses signes, qu’il faudra lire, augures de l’hiver où brûler ses pas : « LA DESCENTE N’ANNULE PLUS LA MONTÉE » Paysage vivifié, onirique et splendide des apparences renversées, y cueillir « [f]ace au très haut pistil oscillant au cœur de la tempête / L’amphore scellée ». Les temps rassemblés, antiques et présents, se libèrent en noces. Le vocabulaire est enrichi de la traversée des siècles, le poète à l’apparence mobile unit dans son aura la suite des âges. Voilà qu’il offre sa vision traversée d’apostrophes terribles, le baroque éclat d’une cristallisation qui se meut sur le fil des siècles en hypallages consacrés, la rupture de mise éclabousse : « sur les brisants mes pas chancellent et me blessent ». L’espace de la page suit l’altercation des figures contraires, en majuscules, un code lecture ouvre le sens : « LIVRÉE […] TU ES […] DÉLIVRÉE ». Message détectable dans le contraste des lettres minuscules, une urgence coupe le poème qui se rompt. Bien des périphrases, « celle qui… » par exemple, énoncent et recèlent l’Être que le poème perpétue en le faisant retentir, socle d’une vérité que les anaphores explosives disséminent dans le texte (« Celle qui connaît les secrets de la lumière et de l’ombre »). Or c’est le miracle d’une connaissance secrète que le poème consacre « [s]ur la corde en pétales d’iris tendue entre le crépuscule et l’aube ». Frontières poreuses entre deux moments de lisière du jour, la voix les unit en une « braise » qui vit dans le poème. Proche de la parole prophétique, la voix, liée aux vérités premières, annonce et désigne : « voici venue la saison ».Un étonnement fondamental préside à la reconnaissance du futur comme lieu de tension qui n’exclut ni le Bien ni le Mal. Nul confort en cette parole abreuvée de « torrent », de « glace » et de « flamme » discordante. Quête d’une « agonie rédemptrice », précisément, l’oxymore est l’or de vie du poème. Consentons à nous laisser briser et emporter vers une incertitude féconde, ce « rite » seul offre l’accomplissement. Qui scrute en ce linceul de braise ? « Nous les vigiles Nous pouvons lever nos paupières lourdes de limon Et ceints du diadème de nos larmes Briser les serrures de l’ultime ouragan » Ce qui se dresse est toujours pourvu des yeux, plus que du regard, le poète affirme ainsi la matérialité de ce qui résiste, ouvre le poème à des entités qui pèsent dans la réalité mais se soulèvent aussi pour livrer la coda. Insoucieuse délivrance d’arcanes suspendus, elle offre la révérence ultime et salvatrice d’un ordre que la langue désaxée recentre sur la perception crue de ce qui existe pour le lire et l’interpréter. De face gronde la voix chargée de colère et d’énergie brûlante : « Et mes haillons s’irisent En cette terre amèrement charnelle ». Scruter le faste des vestiges (dolmen, menhir…) où lire les « indices » : imprégnation sémantique et vernaculaire à déchiffrer en « verbe de rupture ». Les accumulations de groupes nominaux que l’adjectif affole marquent la « flambée rédemptrice » d’une grammaire qui assoit la gradation et le terme d’une lancée nourrie par la phrase, longue souvent, porteuse d’un rythme saccadé. Le chant s’abreuve de ces montées vers le paroxysme. Révéler les vérités cachées. Les apparences sont des masques. Les mots doivent être déchiffrés pour une compréhension exacte. Mystères : mots cachés dans les mots (anagrammes, palindromes, contrepèteries, acrostiches…). Palindrome dans lequel chaque syllabe cogne dans les syntagmes courts et la secousse gagne les lettres associées, renversées, retournées : « Rue mur rumeur […] Ici Mon nom Nia ma main » Voici ce qu’écrivait Élie-Charles Flamand sur le prénom d’Obéline, dédicataire de plusieurs poèmes et illustratrice de plusieurs livres du poète : « Ce gracieux et insolite prénom est une déformation dialectale, assez courante dans le nord de la France, d’Ombeline (fête le 21 août). Cette sainte était la sœur de saint Bernard. D’abord mondaine puis oisive, elle devint moniale et prieur de son couvent, et mourut vers 1135. Ce nom est formé avec les racines du vieux germanique hun, « ours » et -bili, « doux », « aimable ». Soit dit en passant, l’oxymore correspond bien à la personnalité d’Obéline. Si l’on se réfère à la « cabale phonétique » chère aux alchimistes, le début d’Ombeline évoque plutôt l’ombre, tandis que celui d’Obéline fait penser à l’aube. Notons aussi qu’Elie se trouve contenu dans Obéline. » 1 Cette « cabale phonétique » est bien sûr très présente dans l’œuvre d’Élie-Charles Flamand. Dans le nom de l’auteur peut se lire celui de (Nicolas) Flamel, l’alchimiste du XIVe siècle dont certains disent qu’il aurait réussi la transmutation du plomb en or. Et Flamel est ici au cœur d’un poème anagrammatique. Le prophète Élie lui-même est présent. Le Livre des Rois raconte : « Or, comme [Élie et Élisée] marchaient en conversant, voici qu’un char de feu et des chevaux de feu se mirent entre eux deux, et Élie monta au ciel dans un tourbillon. »2 Ainsi Élie n’est pas mort. Il reviendra, ce que confirmera le Livre de Malachie. Le char d’Élie qui peut se lire en Élie-Charles, le char de feu ne peut s’éteindre : « Au-dessus des monts factices qui s’effritent D’Élie le char en flamme Franchit un nouvel abîme rituel Dans la clairière que défendent Les impassibles confidents de la lumière » Il emporte sur la voie de l’Initiation. Transmutation, quête de l’éternel retour… Le poète nous entraîne dans les dédales de l’alchimie et de différentes traditions ésotériques. « Il ne reste qu’à découvrir l’émouvant fourré Qui réverbère les entrevisions du clos diamantin Où cligne l’œil d’un brasier Renouvelant les origines » Le vers n’est pas seul dans Braise de l’unité. On peut y lire des poèmes en prose, l’oxymore les fonde pareillement, rapprochant /éloignant. La rive est celle de la foi, l’étreinte la précède : « Le recours aux vents contraires fait éclater le firmament ; l’esquif des ambages vire de bord et s’éloigne, tandis que les mots se tressent en une chair sans pesanteur et redisent la sainteté de l’étreinte. » Or, aucune datation, le spectre temporel se résume à l’aube (matin augural) et au crépuscule, pôles binaires entre le début et l’achèvement. Entre : la lutte, la secousse. « Que la ferveur se cèle, que les languides entrelacs de l’illusion et de l’absence se consument à l’éclair nuptial jaillissant entre nos deux infinis. » Vœu s’il est exaucé, le « je » le porte au ciel pour qu’il soit. Les pierres précieuses (rubis, saphir, émeraudes…) deviennent facilement torches du sens équilibrant dans leurs reflets la polysémie rendue au symbole unique et diamétral : « Il n’est plus que de veiller sur la braise Du druidique maintenant Qu’enclot le sépulcre où s’enfanter » Le pronom personnel réfléchi n’est pas rare, le poète à lui-même applique sa propre métamorphose par une alchimie secrète, le désir la guide et l’accomplit dans la ferveur. La langue elle-même engendre une prolifération native de mots qui dans le vers se dévoilent : « [m]oment nu monument ». Sacre de « l’embellie ». La légende entre dans le poème, regard captant les signes. Aimantation confirmée d’une émotion ressentie et lue dans le même temps : « Elle commença dans le sauvage dédale Enclavant la douleur Avec ses aigrettes d’espérance » Elle se détache de la connaissance pour restituer l’éclat initial. On y rencontre des adverbes coupants (« encor » sans –e), des allitérations, « fables fort fugaces », morceaux de bravoure gardés (« Rien n’est jamais rompu ») autant que secoués par le présent crissant « car, dorénavant, sous l’impulsion qu’ils font luire et prospérer, se transfigurent les cruautés traversières. » Seul subsistera l’essentiel, langue prête à se soulever, emportant, dans sa vague nouvelle, le limon du passé : « [d]ans le voisinage du temple que l’aube sacrificielle effacera peut-être, les musiques se resserrent autour de l’imprévu ». En prose, le poème se gorge de mots longs, séquences séduites par l’avancée rythmique qu’une scène peut interrompre car les visions se juxtaposent et ne reculent devant rien. Scène, théâtre parfois où plusieurs voix se croisent prolongeant l’adresse aux dédicataires, en italique, à l’impératif. Poésie de l’ordre et de l’injonction, « vois », le regard saisit les contrastes saisissant, les mots se heurtent « poursuivant ton rêve prophétique ». Dans l’incantation, le pouvoir du Verbe se perpétue, sans relâche : « Il ne nous reste plus Qu’à briser tous les miroirs Afin de chercher la faille du temps Par où entrer dans la Lumière » Accomplissement : passage à chercher, il s’évanouit et s’ouvre tour à tour porté par l’oxymore écartelé. « [D]écombres » autant que « forêts enchantées », fertilité de « Satchmo qui donnait le rythme en riant ». La parenthèse du vide se peuple de musique et cadence la mélancolie de ponctuations exclamatives et vitales autant que d’onomatopées qui relancent l’esprit conquérant de celui qui lit, écrit, regarde le ciel avant de s’y mouvoir ou fondre. Avec Louis Armstrong, d’autres musiciens de jazz, amis d’Élie-Charles Flamand, apparaissent. Ces grands improvisateurs sont des Inspirés, des Initiés d’au-delà (et d’en-deçà) des mots. Buddy Tate, le saxophoniste texan tellurique, Lester Young, le Président céleste, Oliver Jackson, le batteur3 qui : « Dessous le rythme par sa rigueur agile Enfin réussit presque à déifier le corps ». Quand un titre de standard apparaît, c’est Too marvellous for words (« trop merveilleux pour des mots »). Ces chamans (Élie-Charles Flamand) sont d’autres Intercesseurs. Il ne s’agit plus de déchiffrer le mystère, mais d’y entrer. La pierre, roc ou galet, totem des rencontres, porte la mémoire décousue des pluriels égarés. Le poète les assemble. Aux quatre vents, aux quatre feux, le regard sacrifié s’offre pour que le poème, empli de gemmes contraires, s’abreuve sans fin et déborde de caractérisations étonnantes et de révélations : « Après tant de paroles closes Voici venir le verbe qui s’ouvre et se multiplie Offrande en arborescences sonores ». Le feu seul concentre et transmue les notes discordantes en Tout vibrant. Braise de l’unité. Isabelle Lévesque D.R. Isabelle Lévesque pour Terres de femmes ________________________________________ 1. À lire sur le site d’Obéline Flamand : https://obeline.flamand.free.fr/ 2. La Bible de Jérusalem, Les Éditions du Cerf, 1974. 3. Élie-Charles Marchand joue lui-même de la batterie. |
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