J’aime votre féminité salée Vous écrivez depuis le Sud, avec ce que le Nord imagine : chaleur, olives, sieste, ville ouverte à la mer, ciel au plus près du sol, poussière, banlieues magnifiques, bibliothèques volées, tilleuls éclaboussés de peinture, amis et galeries, architectures orangées. Vous écrivez depuis un féminin engagé par une maladie et son histoire, un féminin jamais contraint, et ce malgré la loi, les notes, l’institution, les bien-pensants. Vous écrivez depuis une famille et un nom : parents, frère, amants, jumeaux indiscrets : on n’a qu’un nom : on y meurt on y enrage : aucun nom n’y parvient : ni substantif ni nom propre : un nom pour toute une vie de livres, toute une vie dans les parallèles : un autre livre s’écrit dans la vie : respiration, livre : si je devais vous choisir un signe de ponctuation : les guillemets d’une langue toujours écrite dans la poussière. Vous écrivez depuis un alphabet que je redécouvre. Les lettres se souviennent et oublient. Vos lettres revendiquent la séparation des temps. Elles carburent et droguent ce que le remède empoisonne. J’ai tellement aimé les écrivains que vous écrivez qu’il me semble pouvoir tout abandonner : les courses et le ménage se feront seuls, les rendez-vous s’accommoderont, la paresse cessera d’être l’injure entre toutes, les lits seront renversés, les vêtements déborderont. Sans accablement. Vous écrivez depuis des filles qui cherchent la femme. Des filles à tête de femmes. Des filles à épaules d’homme. Des filles à cris d’enfant. Des filles cassées et remontées : buste animal, voix mixtée, cheveux orphelins, poitrine déséquilibrée. Vous écrivez l’orpheline qui a trouvé la couleur du manque : le rouge tel que le fruit l’invente, celui qu’aucun sang ne fait couler. Vous écrivez depuis l’accident : crevasses, prurits, psoriasis, ça gratte en vous sans savoir ce que ça va gratter. Des sales histoires qu’on arrache aux journaux et aux faits-divers, des histoires que la prose ralentit et que le vers fracture, des histoires qui inventent d’autres crimes pour dévier l’amour en haine. Vous écrivez depuis la main. Je l’imagine saisir l’invisible à côté de la vaisselle ébréchée. Je la vois dessiner une manière si spéciale de vivre. Je la découvre empreinte de forces neuves trouvées dans un jardin. Je la sens au bord de l’effacement qui ne se produira pas. Vous écrivez en névralgie, vous semez, vous déjouez. |
ANNE MALAPRADE Source ■ Anne Malaprade sur Terres de femmes ▼ → Lettres au corps (note de lecture d’AP) → Une presqu’île. Presqu’elle, presqu’il (extrait de Notre corps qui êtes en mots) → Négatif, inspiration | Tirage, expiration (extrait de Parole, personne) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions isabelle sauvage) une notice bio-bibliographique sur Anne Malaprade → (sur le site des éditions isabelle sauvage) une présentation de Lettres au corps d’Anne Malaprade |
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