JARDINS DE TOUTE SORTE (extrait) De mes bras, j’ai entouré le tronc du vieil arbre et j’ai appuyé ma joue sur son écorce rugueuse. Immobile, j’ai tenté de percevoir la circulation de la sève, le cheminement des racines nourricières et l’avancée tranquille du temps. J’aurais voulu que la terre me retienne, que je devienne minéral et végétal pour vivre de la vie mystérieuse des choses qu’on croit inertes. […] Combien de jardins m’attendent encore ? Jardins d’entrelacs où le buis sombre et la santoline grise brodent des motifs délicats, rocailles du Sud où s’agrippent les plantes charnues gorgées de leur propre suc qui n’aiment que le soleil, rochers travaillés en grottes où court un tronc tordu qui a la couleur de la terre, tunnels, ponts sur des mares asséchées, branches devenues pierre et ciment en forme de fleurs… Jardin japonais, plénitude du vide, musique du silence, eau insipide sur les cailloux pourtant promesse de saveurs… Jardins de toute sorte, de toute saison et de tout temps. Le vieil arbre au bout de l’allée m’a fait signe. De mes bras, j’ai entouré son tronc rassurant et j’ai appuyé ma joue sur son écorce. Mes pieds se sont enfoncés profondément dans le sol, les rameaux de ma chevelure ont frémi sous le vent et j’ai touché le ciel. Alors je suis devenue arbre, je suis devenue jardin. Joëlle Gardes, « Jardins de toute sorte », Sous le lichen du temps, poèmes en prose, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves-Accents aigus, 2014, page 11 et pp. 28-29. Photographies de Patrick Gardes. |
Retour au répertoire du numéro de novembre 2014
Retour à l’ index des auteurs
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.