LA FEMME, ŒUVRE D’ABSTRACTION
Incisions incrustations palimpseste texte — photos en surimpression femme-mystère corps nu dévoilé/révélé — vera icona — dans son impudicité fondatrice première. Ève au miroir fondue confondue fusionne avec les ostensoirs ciboires crucifix guirlandes et dorures icônes de Vierge à l’Enfant cul offert ouvert — sexe-fleur-figue — épanoui dans le chatoiement des draperies en noir et blanc incandescence chapelets bracelets, rayonnement froid des soleils d’église, Ève tentatrice tendue offerte ouverte au désir du regard.
Quel regard ? Celui du photographe — Yves Verbièse — attaché à rendre par ses images la beauté exaltée du texte de Claude Louis-Combet ? Celui de la lectrice qui effeuille parcourt égrène Nu au transept plonge avec la fébrilité d’une innocente aux mains nues aux mains pleines à la rencontre d’un récit attendu soupçonné jamais écrit ni rencontré toujours existant présent enfoui mis au ban secrètement désiré découvert ? Aimé ! Celui de Joseph ? Le théologien et prêtre qui interroge — à partir de la peinture-prétexte de Courbet, Baigneuse à la source, 1862 —, les profondeurs de son être. Et confie à son ami, le temps de leur entretien, le mystère de sa rencontre avec la Femme, prénommée Maria par le narrateur. Rencontre déterminante survenue cinquante ans plus tôt dans la cathédrale de Bourges. Celui de l’écrivain Claude Louis-Combet, enfin, dont on sait qu’il a renoncé à la prêtrise ? Mais non à la femme. La Femme éternelle à qui il offre avec ce Nu au transept, un hymne de gloire majestueux magistral. Regards croisés, intimement lacés-enlacés pour un ouvrage dédié à une esthétique du regard qui mêle Eros-Thanatos-Divin dans une seule et même chorégraphie. Une même iconographie ardemment fantasmée.
L’œil de la Mort guette qui observe lorgne vers le vivant désir de femme pupille dilatée qui interroge notre désir, écho du désir du jeune homme du récit appelé par vocation à la prêtrise et convié un jour à la connaissance révélée de l’être-femme — ce fut comme une apparition — visité un jour de ses vingt ans par l’ostentatoire nudité tentatrice nudité d’une jeune beauté errant nue par les rues de la ville déambulant nue dans les travées de la cathédrale de Bourges, éveillant en lui, le chaste Joseph, une incandescence insoupçonnée, incisant au plus profond de sa conscience une « césure » douloureuse entre un « avant et un après », mise en abyme du regard désir du regard désirant affublé de tentures-couronnes de fleurs-cierges-tabernacles-ciboires-châsses-voiles-nimbes dorés, et le pubis sombre triangle du désir confondu fondu fusionnant avec un ostensoir soleil serti de pierres précieuses, assomption de la Vierge assimilée mêlée au corps dévêtu de l’Ève blonde, cette Maria aux cuisses campées sur l’autel des dévotions angéliques, visions pyramidales d’angelots musiciens, enfants aux visages purs, étoiles fleurs des champs plis et surplis de robes enlacements des corps qui font corps avec la statue de la Vierge vêtue de draperies couronnes célestes, et derrière, en filigrane, en surimpression palimpseste, Maria nue dansante parmi les gisants, cheveux longs librement flottant sur les épaules éternellement blonds éternellement symbole du désir lascivité qui vient coller aux images éternellement pieuses et adorantes des églises. Maria s’adonnant sans réserve à un rite sacré, énigme qui la livre à un corps à corps de feu avec le marbre froid qui emporte sa chair. Sous le regard éperdu interdit de Joseph. Et pourtant.
Joseph reconnaissait « que la contemplation d’une femme, sans qu’il eût échangé une parole avec elle, sans qu’il l’eût jamais touchée, sans même qu’il l’eût regardée de très près, avait constitué en soi une expérience absolument dominante, une épreuve d’intériorité, en toute plénitude, au-dessus de tout ce qu’il avait connu ou pourrait connaître. […] Et c’était cette femme-là, anonyme par-delà son faux nom de Maria, qui avait révélé non au croyant, non au prêtre, mais à l’homme, ramené à sa simplicité première, quelques essentielles vérités de nature… »
Le Nu au transept — titre somptueux du dernier ouvrage de Claude Louis-Combet publié par l’Atelier contemporain et illustré par les images (photomontage ?) d’Yves Verbièse — donne à découvrir la danse de Maria, jeune prostituée de Bourges, Ève souple aux seins ronds et lourds qui cache son visage entre ses bras ailes du désir sous le regard impassible d’angelots absorbés dans leur prière et dans leurs chants. Elle danse tendue sur l’autel de la mort, crucifiée peut-être, offerte de dos, nue dans son dialogue de chair aux prises avec ce qui fut jadis un vivant dont la chair a été avalée néantisée par la mort et par le sexe jadis dressé dans les convulsions de la possession, réduit à jamais à poussière, chair dense d’elle, souffle fraîcheur vibrante du plaisir qu’elle se donne sous le regard interdit du jeune homme chaste désirant interdit de chair par vocation de prêtrise, embrasements de la chair sculptée dans l’à-vif face aux squelettes ombreux desséchés et ombreux qui gisent et veillent en leur silence de pierre dans le transept de la cathédrale.
À la tiédeur des sentiments d’aujourd’hui dégagés à jamais de la gangue des images mystiques, alliances secrètes amour- extase-mort, à la médiocrité des passions et des désirs de tout un chacun, Claude Louis-Combet oppose l’incandescence. Incandescence du regard et de l’écriture, l’une à l’autre enlacée comme chèvrefeuille unissant les amants à leur lien de fidélité éternelle, l’un servant l’autre jusque dans l’impudeur. Une impudeur naturelle, libérée de la faute originelle, librement assumée par la Femme mais aussi par le photographe et l’écrivain qui revisitent en complices la présence érotisée de la Femme dans le lien viscéral et charnel que celle-ci entretient avec le sacré, déambulant nue jusqu’au transept où elle s’unit nonchalante désinvolte langoureuse à la Vierge à l’Enfant éternellement absorbée dans le recueillement du mystère de la maternité divine, à la Mort qu’elle transcende. La Femme, « Être suprême » vécu dans Le Nu au transept comme « principe de puissance et d’amour ».
Femme initiatrice qui donne à l’homme de découvrir sa propre intériorité. Dans la contemplation réitérée de ces offrandes charnelles, Joseph « découvrait, avec une étrange sensation de vertige intérieur, de douceur trouble, de malaise également sensuel et métaphysique, que son âme n’était pas simple, n’était pas une, mais double pour le moins, et qu’un être de femme, comme vestigial, comme résiduel, la peuplait tout autant que son être d’homme. »
Ainsi, au cours des « douze dimanches de suite » répartis en huit tableaux qui composent cette fable théologique de haute tension, l’idée de la femme évolue-t-elle dans l’esprit de Joseph, et avec elle, sa conscience torturée. De tentatrice lubrique, la « démone acharnée au ravage des sens » se change peu à peu en « détentrice d’un noyau de mystère dont la révélation était essentielle pour la connaissance de soi ». Joseph entrevoit avec lucidité que « la prostituée était une sainte, au-dessus de toutes les saintes ». La réflexion du prêtre se tourne vers davantage de distanciation et presque de froid détachement. Son esprit s’applique « à la perception du corps féminin comme à l’observation d’un paysage ou d’un tableau ». « Loin de toute complaisance sensuelle », ses considérations le conduisent du côté de l’esthétique. Jusqu’à la « contemplation intérieure de la femme ». « Œuvre d’abstraction ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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