[TROISIÈME VOYAGE À SAINT-MAUR : “Corse. Été 56 – été 63”]
Automne 1981
Impossible de sortir de chez moi. Je n’insiste pas. M’allonge. Me relève. Resté en suspens au sixième étage sous les toits.
Le petit garçon sur la barque ; une multitude d’histoires fixée sur papier sensible. Certaines photos n’ont plus d’habitants. Celle prise avec ma cousine Pierrette, près de la maison familiale en Corse. Été 56. Esquintée. À la moindre éraflure… Non je n’ai pas pu.
Pourtant, je me suis glissé près d’elle.
Le corps immobile
…
Mais tu as fait un faux mouvement
dans un sous-bois
un soir de décembre…
et ces corps-là, tu sais, ont des faux mouvements
cachés en eux
qui attendent
et qui savent toujours effacer.
Je n’ai jamais retrouvé cette photo.
Ai fouillé partout. Une autre de Pierrette dans un groupe de communiants sur la place du village. U Carognu (Caroneo) été 63.
Après la cérémonie, le soleil est haut ; les enfants yeux mi-clos. Éblouis. Les corps sont surexposés. Blancs trop éclatants et pâleur des gris. Pour fond, un ciel inexistant d’un bleu uniforme. Nous sommes serrés les uns contre les autres dans la partie basse. Je suis à l’arrière figé. Petite cravate fine et brassard. On ne respire pas. Elle, elle est devant avec les plus petites. Robes immaculées et cerceaux dans les cheveux. Toutes ont leurs gants blancs dans une main et un missel dans l’autre. Graves. Elles regardent fixement l’objectif.
Son corps ne semble pas, pas encore.
Je suis sur une photo en parfait état de conservation. Même époque que Le corps immobile. Prise avant ou après ? En toile de fond, notre maison avec ses murs en pierre. Identiques à la première. Avec sa petite placette devant l’entrée. Le crépi de l’église sur la gauche. Le sol pavé. Je suis au centre, vêtu d’un pantalon trop grand et d’une chemise canadienne à manches retroussées. Un lacet défait. Léger sourire. Dans une main, un pistolet de cow-boy — l’arme du crime — tenu sans grande conviction. Le soleil frappe fort.
Les pierres retiennent la chaleur jusqu’à très tard dans la nuit. Et nous, dos allongés sur les rochers, dans la respiration des châtaigniers, comptons les étoiles sans que jamais aucune ne manque.
Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, récit, Éditions Champ Vallon, Collection recueil, 2014, pp. 37-38.
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