textes réunis et présentés par Marie Joqueviel-Bourjea,
Éditions L’improviste, 2013.
Lecture de Patricia Godi
Ph., G.AdC ÉCLAIRER LES PAROIS DE LA GROTTE Certains livres semblent étonnamment vivants, intensément présents, et ils interpellent, ne serait-ce, au départ, que par le mystère d’une illustration, d’un titre. Ainsi de l’ouvrage collectif Marie Étienne : organiser l’indicible, dont la photographie1 de couverture montre la place arborée d’un lieu à la fois familier et traversé de signes d’étrangeté. On croirait reconnaître le marché aux fleurs et aux oiseaux de l’Île de la Cité, et l’on est transporté au cœur du Japon, à Tokyo, dans les allées du sanctuaire Yasukuni-Jinju. Autant dire l’expérience d’écriture située entre le proche et l’ailleurs, le concret familier et les territoires du rêve, la voix personnelle et le masque, à laquelle invite l’art de Marie Étienne, et que restitue le livre dirigé par Marie Joqueviel-Bourjea. Auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la poésie française contemporaine et spécialiste de l’écrivain, Marie Joqueviel-Bourjea a déjà coordonné pour elle le numéro 47 de la revue Nu(e) paru en avril 20112. C’est dans son sillage comme dans celui des publications de Marie Étienne parues la même année, que s’inscrit le présent volume, Le Livre des recels, Les Yeux fermés ou les Variations Bergman et Haute lice3, à travers lesquels se dessine la diversité d’une œuvre abondante et neuve. Sans doute, le parcours biographique de Marie Étienne, rendu atypique par de nombreux séjours en Asie du Sud-Est et en Afrique, la collaboration avec deux des grands intellectuels du 20e siècle, Antoine Vitez et Maurice Nadeau, n’y sont-ils pas étrangers. L’ouvrage se fait également l’écho de deux manifestations importantes organisées en 2011 autour de l’œuvre de l’écrivain4. Marie Joqueviel-Bourjea inscrit les voix de leurs participants dans un volume qui a pris le parti de faire alterner des analyses critiques (Serge Bourjea, Marie-France Étienne, Marie Joqueviel-Bourjea, Laure Michel, Gérald Purnelle) et des textes créatifs, de faire des textes critiques un lieu de création (Isabelle Garron, Paul Louis Rossi), et de restituer le travail de l’éditeur (Yves di Manno) tout en restant fidèle à celui de l’écrivain. On peut dire de ce volume qu’il entraîne dans une véritable aventure de lecture et qu’il rend hommage à une œuvre qui refuse de se laisser enfermer dans un seul genre littéraire. S’il attire l’attention sur la place essentielle de la poésie dans le parcours de Marie Étienne, comme en témoignent les recueils parus à un rythme soutenu depuis les années 1980, il n’oublie pas non plus ses liens avec le théâtre. Les écrits de celle qui fut la collaboratrice d’Antoine Vitez pendant douze ans (évoqués par Marc Quaghebeur, « Les années Vitez ») sont en relation « non seulement avec le texte du théâtre et de la scène, mais avec les couloirs, les loges, l’atelier des costumes, les dépendances et même les souterrains » (Paul Louis Rossi). Le récit Antoine Vitez, le Roman du théâtre porte en son titre aussi bien l’immersion dans le théâtre, le dialogue des genres (Gérald Purnelle, « tout est forme chez Marie Étienne ») qu’une forte attirance pour la prose5. L’ouvrage souligne aussi l’interdépendance de l’œuvre avec le monde et l’Histoire (Laure Michel, « Le poème et l’Histoire »), le cinéma (Serge Bourjea, Isabelle Garron, Paul-Louis Rossi), le dessin (« Dessinécrire », Marie-Joqueviel-Bourjea). Il se referme sur une série de croquis inédits de l’auteur, un récit en images d’un voyage à Venise, qui invite à l’échange entre écriture et arts plastiques. Une œuvre ouverte, donc, à la fois concentrée sur les paysages intérieurs et le travail d’écriture, et inscrite dans le dialogue des genres littéraires et des arts (non seulement dans ses livres mais dans sa pratique de la critique littéraire), des époques et des lieux, des êtres réels ou imaginaires. « Ce que cherche à comprendre […] Marie Étienne, écrit Marie Joqueviel-Bourjea dans sa présentation, serait donc cette voie négative […] ouvrant […] à ce qui nous échappe : l’indicible, l’imprévisible, l’inconnaissable. Apprivoiser ce que j’appellerais, chez elle, la “matière de nuit”, que le goût des chiffres cherche à sa façon à organiser […]. Il ne s’agit cependant aucunement de régenter, de mettre en cage […], de donner des explications qui épuiseraient l’inépuisable, l’indicible — mais d’accepter l’opacité tout en cherchant pourtant […] à éclairer les parois de la grotte… Il y a, nous disent les “Fragments de fresque” de Dormans, cette “nécessité de la clarté dans l’incompréhension, le langage, l’écriture, comme une lampe à huile que l’on promènerait sur les parois originelles” ». Il faudrait, pour être plus complet, pouvoir citer longuement les textes de chacun des participants, inventifs, explicites ou rêveurs, et les inédits du cahier central. Mais ce que nous écrivons n’est-il pas toujours imparfait ? « L’inachevé est notre lot », « nous fabriquons de l’improbable ».6 Patricia Godi D.R. Patricia Godi pour Terres de femmes
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MARIE ÉTIENNE Source ■ Marie Étienne sur Terres de femmes ▼ → Haute lice (note de lecture d’AP) → Fragments de fresque (extrait du recueil Dormans) → L’aigrette (extrait du recueil Le Livre des recels) → La femme dit son premier jour (autre extrait du recueil Le Livre des recels) → 22 novembre 2009 | Marie Étienne, Les Yeux fermés (extrait des Yeux fermés) → (dans l’Anthologie poétique Terres de femmes) Marie Étienne | Ce qui reste ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions L’improviste) la page de l’éditeur sur Marie Étienne : organiser l’indicible |
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