Les Écrits du Nord | Éditions Henry, 2014.
Avant-propos de Pierre Dhainaut.
Prix des Trouvères 2013
Grand Prix de Poésie
de la ville du Touquet.
Lecture d’Angèle Paoli
Source « POÈME DE GIVRE POUR LA LUMIÈRE » Se lancer dans l’écriture poétique est, pour Isabelle Lévesque, entreprise qui exige un mouvement intérieur proche d’un acte de foi. Dès l’incipit de son dernier recueil, Ravin des Nuits que tout bouscule, Isabelle Lévesque suggère, par une phrase interrogative, ce moment qui prélude au mouvement de l’écriture et présuppose un engagement : « Prendra-t-elle, il faut croire, le point d’aiguille ? » Dès lors, posée cette question première, le « tissage occulte » étire sa pièce, d’un seul tenant et d’un seul souffle. Dans ce travail de longue haleine, que l’on imagine se poursuivre au coin du feu, lorsque le temps est à la neige, Isabelle Lévesque la Normande fait ressurgir en moi les souvenirs liés à la Reine Mathilde, filant d’une seule pièce et d’un seul tenant la tapisserie de Bayeux. Peut-être est-ce pure imagination ? Quoi qu’il en soit, la tisseuse de mots et la tisseuse de couleurs se superposent au fil de ma lecture. Une superposition à laquelle fait songer, du reste, l’encre d’Isabelle Clement sur la première de couverture. Énigme qui perce sous la voix, le poème est broderie incertaine ; travail patient d’aiguille et de plume, qui s’opère dans un silence à l’écoute des choses humbles. Forêt, fleurs, neige… Toutes choses qui sauvent le passé de la douleur de l’abandon de la séparation ou de la mort. Dans la haute lice de la page, Ravin des Nuits que tout bouscule dévide sa trame, de texte en texte, convoquant de l’autre côté de « l’escarpement », un temps qui fut celui de la passion amoureuse partagée. Un « je » un « tu » se croisent se cherchent s’attendent s’unissent en un « nous » qui préexistait à la déchirure, un « nous » d’avant le commencement (de l’écriture ?). Un « nous » confiant en une symbiose infinie, « ode de nos deux vies » ; un « nous » situé en amont, peut-être, du « ravin des nuits ». « Nous avions façonné le soir de mains légères ». Tissés l’un à l’autre/l’un avec l’autre dans le maillage des mots, amour et blessure, savamment, laissent transparaître en filigrane leur tracé fusionnel. Soudain, au milieu de la page, fait irruption comme un rappel de motif, le titre du recueil. Isolé. Évidence de la présence. Ravin des Nuits que tout bouscule. Avons-nous atteint le seuil ? Le cairn qui marque le passage ? Est-ce après le point que tout bascule ? Séparant un avant d’un après. Le « toi » est-il toujours le même, est-ce lui | est-ce elle ? Le texte interroge, ramifications de doutes de défis de douleur, d’espoirs aussi, tenus serrés ensemble : « Dénouons », dit la voix qui, peut-être, cherche une issue à la souffrance, « rendons au ciel sa vertu première ». Quelque chose a été perdu, qui perdure à travers la nature dans le lien étroit que la narratrice | la poète entretient avec elle. « Nulle source n’épuise le centenaire (le chêne) et j’ébruite encore, petits pas du ciel, ton nom au creux des arbres. » Quelque chose en l’amante demeure de ce qui fut l’enfance, son univers de contes et de formules magiques, ses jeux ses comptines et ses rêves. La voix joue avec les rites, confie son amour aux arbres. Mystère d’une parole qui s’enracine dans les pratiques antiques. Druidiques ou pythiques. Ce qu’elle sait de l’amour, ce même pas qui s’accorde dans la lumière. « Fûmes si loin. Même forêt, ses arbres. » Ou encore : « Corps et cœur, même matière. La fièvre a fondu le métal des corps et rien ne nous distingue. » Confiante en son héros, la narratrice le pare de pouvoirs que seuls possèdent les aèdes ou les devins : « Tu sauras lire, tu prendras le désordre, sa portée de songe retenue entre tes doigts ». Loin de le ménager, elle le met à l’épreuve, invente pour lui des exploits et des rôles, des magies de marelles. Celui du marin qui convoque la mer et brave ses dangers : « Tu disais demain nous partirons en mer. Un arbre penché dans l’écume écartera-t-il le sort adverse ? Sauras-tu faire ciel pour que les vents contraires ne soient plus contrariés ? » Pour autant, l’être aimé garde sa part secrète, inaccessible. Le passé est questionnement autour de cet inconnu qui se fait chair dès l’instant qu’il apparaît. Peut-être suffira-t-il à l’aimée de quelque vœu pour obtenir réponse. Passé aboli. « Souffle, souffle sur moi et tu apparaîtras. Qui es-tu, mon inconnu ? Qui es-tu, venu troubler l’eau claire d’un tourbillon ? Qui es-tu, fraîcheur nouvelle emportée ? Qui est cet homme, mien-léger, qui dans un souffle a effacé le vide ? Peau vivante et nue, laisse les fleurs. Rien n’a plus cours et le passé vide son fardeau. » Ode à l’amour (perdu ?) et à la poésie, l’un et l’autre ensemble tressés, Ravin des Nuits que tout bouscule est une suite poétique en prose construite sur le souffle et portée par lui. Le poème est écoute, indissociable du rythme et du silence : « J’entends l’énoncé sans fin poème la dictée sous la cadence altérée du silence, rythme singulier, coups donnés par l’orchestre rouge et mesure d’orme. J’entends la vive ascension pour un mot poussé coque nocturne, parure déposée, |
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