L’Arrière-Pays, 2013.
Lecture de France Burghelle Rey
Cy Twombly, Untitled [roses bleues], 2008 Munich, Collection Brandhorst Source [« UNE ROSE ROUGE EST DEMEURÉE »] Dès le début du recueil, à la lecture des versets qui évoquent la nature, la chatte puis la statue d’un visage — celui du peintre qui a vécu dans la maison, comme le dit l’exergue en italiques —, le lecteur est sensible au thème sous-jacent du temps. De ce fait, dans la 4e page, sonnent, tout comme les quatre notes du premier mouvement de la 5e Symphonie de Beethoven, les quatre syllabes d’un « Tu te souviens ». Le choc est d’autant plus grand que Béatrice Bonhomme ne craint pas d’écrire la beauté et n’hésite pas à choisir la rose comme métaphore de la beauté. Réelle ou imaginaire, la rose est l’ambassadrice d’une émotion qui gagne librement son texte. On retrouve là les accents que la poésie de Lydie Dattas (dont l’œuvre revendique la « beauté ») a offert en son temps dans Le Livre des Anges, II : « Les roses respiraient le parfum de ton âme / ces roses mouraient en même temps que toi. » À une différence près toutefois : chez Béatrice Bonhomme, une rose « brûle » encore. C’est à propos de cette rose, de son cœur et de sang, qu’au texte 4, le symbolisme implicite des couleurs, allié aux triples répétitions de la neige et du cœur et au rythme des versets, honore le souvenir du père disparu. S’y rencontre aussi, dès la décision du titre, un parti-pris de musique composée de variations et de leitmotive qui définissent les litanies. Le royaume de l’enfance est une autre offrande au lecteur qui, avec la « maison abandonnée aux graffiti », pense à Lullaby de Le Clézio, comme il avait déjà pensé au Petit Prince et à sa rose. Il peut paraître naïf d’évoquer ces références, mais Baudelaire n’a-t-il pas dit lui-même que le poète est un enfant ? Le lecteur du recueil le redevient d’autant plus qu’il est surpris par cette nouvelle interprétation de topoï sans doute rebattus. La poète établit du reste une similitude entre les deux thèmes du visage et de la rose quand elle écrit : « Il (le visage) parlait d’enfance ». Ou encore : « La demeure s’est blottie autour d’une rose rouge qui demeure le cœur de l’enfance ». La fresque elle-même devient, de façon magique, le terrain de jeu des enfants. Véritables actants de la création et de la transmission, les enfants « s’engluent » dans les couleurs et y laissent des « taches ». Devenus « mots », les enfants « ont écrit le mot visage dans la lumière ». Ainsi onirisme et magie fusionnent-ils dans la beauté. Le sang de la rose a servi de fard et le visage a repris vie avec les papillons-enfants « épinglés dans la fresque ». À l’origine envahi par l’autoportrait du peintre « aux yeux vivants » — véritable présence-absence qui « ne commande plus qu’aux ombres » —, l’espace de la demeure est aux prises avec ombre et clarté. Vie et mort imposent leur dialectique au recueil. Dans la troisième et dernière partie du recueil se confirme la tentation du narratif. Avec l’entrée des loups dans la maison : « Les loups entrent dans la maison et dévorent jusqu’au visage peint entre les murs de salpêtre pour servir de proie au temps. » Symboles de mort, les loups font renaître à la vie une petite fille qui « surgit du passé » pour lancer vers le public « quelques roses », comme lors des processions de la Fête-Dieu. Et, au milieu de cette métamorphose, « Sur la neige de la scène, sur la neige de la mort, une rose rouge est demeurée ». Symbole de vie et de lumière. Le recueil se clôt magnifiquement par une adresse à l’héritier. Stello, héritier « de l’empreinte du visage ». « Accoucheur de la vie », Stello, « le Chevalier à la rose » a « porté le monde à la lumière ». France Burghelle Rey D.R. Texte de France Burghelle Rey pour Terres de femmes |
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Un livre de France Burghelle Rey magnifiquement illustré par Georges Badin :
http://www.georgesbadin.com/2010/07/tableaux-du-temps-2/
Rédigé par : G.AdC | 28 février 2014 à 18:20