EN SOUVENIR DE LA CRUAUTÉ
Touche-moi. Promène doucement tes doigts sur mon corps
tâte ma peau par-dedans
doucement vigoureusement avec pitié : c’est là-dedans
que j’étais moi
Oui. Moi. Rien que moi. Identique à moi-même
Caresse ma peau par-dedans. Prends cette odeur humide
de sang dans les mains
ramasse le sang dans la paume de ta main comme dans
un pot de terre
goûte-le avec le bout de la langue :
c’était mon sang à moi
Rentre dans ma peau
comme
un soldat dans son armure
Oh ! je sais qu’elle te serre
Restes-y habite-la polis-la farde-la oins-la de crème
défends-la contre les rides et la rouille
donne-lui un corps donne-lui la vie : c’était ma peau à moi
Oui. Fais en sorte que tes doigts enfilent la peau de mes
mains
comme un gant : cette forme-la c’était moi
Quant à moi tu vois bien que je suis sortie de ma peau
moi je suis partie moi je suis loin
Écorchée vive ma chair découpe maintenant les lointains
sépare la nuit de l’automne macule de sang l’horizon de
l’au-delà
Tu fais cette cérémonie
en souvenir de l’amour
(oh ! tu m’as aimée comme un jardinier qui creuse
profondément son jardin avec une bêche) :
donc en souvenir de la cruauté
Marta Petreu, L'Apocalypse selon Marta, Éditions Caractères, 2013, in « À pleines mains, 71 Poètes », Bacchanales n° 48, Revue de la Maison de la poésie Rhône-Alpes, novembre 2012, page 126. Poème choisi et traduit du roumain par Linda Maria Baros.
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