Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI, 2013.
Lecture d’Angèle Paoli
« Pourtant, malgré la faille, le bleu, toujours, s’instaurait, me rattrapait » Ph., G.AdC EN SORTANT DE SA RÉSERVE… Poète sensible, qui garde au secret les sentiments qui l’habitent, Marie-Ange Sebasti se livre ici, dans les pages de Cette parcelle inépuisable, par menus lests. Et c’est d’abord la Terre, — « terre sienne » — qui inaugure, dans les contrastes d’ombre et de clarté qu’elle engendre, l’ouverture de ce nouveau recueil poétique. Cela commence avec le « rose chair » de l’enfance du poème inaugural. Par cette exploration d’une « parcelle inépuisable » d’où surgit l’enfant de jadis dans toute l’impulsivité de sa jeunesse. L’enfant à qui la poète d’aujourd’hui confie le pouvoir de s’emparer de l’adulte, de le secouer de son « long sommeil », de le bousculer dans ses certitudes, de le confondre avec ses souvenirs. Soudain l’enfant est là, dans toute sa puissance créatrice — « Il démonte les lucarnes / et défie les étoiles » —, présence troublante qui dérange par son inventivité. « Pourquoi cesser d’avoir faim / de sa turbulence », interroge la poète. Le monde de l’enfance est au cœur des poèmes, qui ramènent avec eux, dans le chalut des mots, leurs bons génies et leurs comptines. Les formules magiques ouvrent les portes des jeux mais aussi celles des petites cruautés d’enfants, celles qui excluent et tiennent à l’écart celui d’entre eux/elles qui n’a pas les clés de « colegram ». Dans son désir de se faire « archiviste » des gestes du passé, la poète recherche le lien qui l’unit à la petite fille qu’elle fut, afin de renouer avec elle ses pactes d’enfance. Dans son désir de se faire christophore, elle se dicte ses ordres : « Soulève cet enfant Assieds-le fermement sur tes épaules Rapproche-le du ciel » Lui confiant ainsi une part de pouvoir : « Il saura bien te décrire l’horizon ». Dès cet instant, toujours mimant les inventions de l’enfance, la poète oscille entre incertitudes, menus échecs, impatiences à vivre, recommencements et reprises. Mais toujours rebondit sur la frange d’écume et toujours se remet à ravauder les « images » sur lesquelles elle s’élance. Elle retrouve alors cette « part des anges » qui lui donne l’élan vital propre à soulever le « mortier des heures grises » et à délivrer le monde de ses emmurements. À travers la série des infinitifs — « Préparer / lancer / délivrer / libérer / rebâtir… » — qui sont comme les jalons de son programme d’actions poétiques, la poète s’invective avec douceur et fermeté. Parfois, au cœur de ces défis, d’autres silhouettes surgissent, qui avaient emporté avec elles, dans de lointaines expéditions, des rêves de retours victorieux. Et s’en reviennent, chargées d’images cahotantes. Dans des vers brefs, la parataxe fait surgir les étapes d’un « interminable western ». Archiviste puis calligraphe, la poète se sait impatiente à adoucir le monde. Même si sa « palette s’emporte / s’éloigne », l’acrobate qu’elle se dit être, « exerce ses pinceaux / à rattraper la joie / sur la ligne de fuite ». Le doute pourtant l’assaille dont elle repousse les brûlures. Aux interrogations qui se font jour, elle oppose le silence, celui-là même qui « a gonflé » son « chargement de mots ». Quant aux morts, la poète les nimbe d’un même optimisme que les vivants, accordant à leurs fantômes une vie propre et parfumée : « Bientôt ils sentiront la lavande des armoires bien rangées ». Optimiste ? Oui. Parce que profondément croyante ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, exploratrice infatigable du temps et des blessures que celui-ci inflige, la poète se refuse à tout repli dans la douleur, à toute négation de la joie. Ainsi, confie-t-elle : « Pourtant, malgré la faille, le bleu, toujours, / s’instaurait, me rattrapait ». Toujours en chemin, « elle monte lentement / en tenant bon la rampe / de l’escalier trop raide ». Elle progresse, décidée, « vers ce rai de lumière / qui patiente serein… » Lucide sur elle-même et sur les traits qui fondent sa personnalité, la poète évoque sa réserve — « Hier / en sortant de ma réserve / j’ai cru voir […] ». Et pour qui a le privilège de connaître un peu Marie-Ange Sebasti, cette expression polysémique fait sourire. Car sa réserve est sans nul doute son plus fidèle atout, celui qui conduit la poète sur la ligne de fuite d’un humour et d’une espièglerie qui la rendent très attachante. Ainsi surprend-elle par les façons d’oiseau qu’elle a de déplacer les images à cloche-pied. Ou à petits coups de pinceaux furtifs. |
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Très bonne approche d'une poète qui m'est très chère, tu le sais Angèle, pour une multitude de raisons qui ne pourront pas être étalées autrement qu'en grandes parcelles d'un silence très souriant. "Tu vois la Corse Marie-Ange ? " Oui, répondra-t-elle laconiquement, sans lamento intempestif ! " Tu revois la petite fille au bord du bleu Marie-Ange ? Oui, ajoutera-t-elle. "Mais ne comptez pas sur moi pour en faire un Roman, à la rigueur un couplet pour ajouter ma parcelle de voix aux chants insulaires où je rabroue un peu la nostalgie...
Rédigé par : Marie-Th Peyrin | 16 décembre 2013 à 22:11