[MOTS VOLÉS… MOTS ENVOLÉS… MOTS VAGABONDS]
Mots volés… Mots envolés… Mots vagabonds
« De haut en bas en bandes
ou en zigzags solitaires »
Ces mots en poèmes, rassemblés dans ce recueil de Sabine Huynh, ponctué des superbes et déchirantes craies noires de Christine Delbecq, « migrent », « tombent », « semant des cicatrices-ratures / de batailles amours familles », nous entraînent, nous retiennent. Ils nous parlent de l’être, ce qui le fonde, ce qui l’ancre au monde, du lien, de l’attachement, de la re / co / naissance.
Filiation dans un lien, dans un lieu, où les odeurs, les saveurs, les sons, les couleurs vont laisser leurs empreintes. Ces riens impalpables qui nous fondent « cet arôme de riz gluant », « son or entre les dents noires », ce « thé aux pétales de lotus », ces « conciliabules des ombres », un jour disparaissent.
L’exil, le déracinement, prennent place.
Mais comment construire, avancer, grandir quand la perte ronge, quand « l’oisillon se perd / les signaux s’égarent / les souvenirs s’estompent », quand la saveur de vivre vous quitte, « éventail imprimé (déchiré) », quand la seule terre que l’on porte en soi, seul bagage contre l’oubli, « ce Viêt-Nam de timbres-poste » devient mortifère ou disparaît ?
« un jour
le passé ne revient plus »
[…]
« ces images naïves
leur seul trésor celé
la tristesse même »
Il faut affronter la rupture, l’après,
« la nuit inquiète / sans repos / de l’exil », l’affronter dans « l’immensité » de la découverte, des « mots pour dire » :
« comme un colibri
je vole dans tous les sens
sans répit
portée par le souffle
de nouveaux chants »
Répondre dès lors à l’appel du monde, l’ailleurs pour un ici perdu, trouver l’ouverture pour combler les blessures.
« avec abandon tendons les bras
vers les heures assoiffées de l’été »
L’oiseau peut retrouver un souffle, « vite, un arbre, pour me dire où je suis », apaiser son vol, se poser sur la terre d’une page, explorer le territoire des mots, « voler sous terre et creuser les cieux ». L’écriture apparaît, dès lors, comme une terre à défricher, à désirer, à conquérir. Explorer le désert, la « zone à part ».
« Perdant pied dans ton ombre
j’écris
comme si ma vie en dépendait »
Il faudra traverser encore la nuit, sortir du gouffre,
« Avaler le passé
de ce vieux tableau
pendu dans le salon sombre »
pour parvenir au jour.
Le futur peut s’installer dans langue,
« demain
écrit après demain ».
L’assonance en [i] domine le dernier poème,
« Rien sauf le temps
à lire ce soir
hier à grains
lisse aujourd’hui
écrit après-demain
Rien sauf le vent
à dire ce soir
hier en fuite
aujourd’hui dévidé
demain tissé
dans le temps liquide
Rien que le vent
et mon cœur qui bat. »
En elle s’inscrit « le cri » d’une vie nouvelle, celle donnée, celle d’une « renaissance ». Le recueil de Sabine Huynh, plus qu’une « topologie de l’exil », nous offre un chant d’espoir.
Sabine Péglion
9 octobre 2013
D.R. Texte Sabine Péglion
pour Terres de femmes
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