Le 29 septembre 1571 naît à Milan, le jour de la fête de saint Michel Archange, Michelangelo Merisi, dit Caravage.
Aîné de quatre enfants, Michelangelo Merisi (fils de Fermo Merisi et de Lucia Aratori) passe les cinq premières années de sa vie à Milan où son père occupe auprès du marquis de Caravaggio la charge d’architecte-intendant. Le marquis lui a confié la restauration de ses appartements. La petite ville lombarde de Caravaggio est depuis plusieurs générations le terroir de la famille Merisi et c’est à elle que Michelangelo Merisi empruntera son nom. Lorsque la peste survient à Milan en 1576, les Merisi se réfugient à Caravaggio. En octobre 1577, à la mort de Fermo Merisi, la famille Merisi se trouve à la tête d’un patrimoine important doublé d’un réseau relationnel qui se consolidera d’année en année tout au long de la vie du peintre. La disparition du père ne porte donc pas atteinte à l’aisance familiale.
Michelangelo Merisi reçoit une éducation sérieuse et entreprend sa formation artistique en avril 1584, dans l’atelier du peintre milanais Simone Peterzano, de notoriété modeste. Pour autant, Peterzano donne à son élève un enseignement suffisamment solide pour que Merisi puisse entreprendre de travailler par lui-même. Il lui apprend le dessin, les techniques de la peinture à l’huile et de la fresque, la perspective, l’anatomie, l’espace et la lumière. Merisi a également eu l’occasion de s’initier à la nature morte et au portrait. À Milan où il a vécu ses années adolescentes, Merisi découvre la violence des mœurs et un goût prononcé de la contestation de l’autorité qui ne le quittera plus.
Au cours de ses voyages en Italie du Nord (Lombardie, Vénétie…), Merisi se familiarise avec les œuvres des peintres reconnus de ces régions : Antonio Campi, Girolamo Romanino, Moretto da Brescia, Giovanni Savoldo. Mais aussi Tintoret et Lorenzo Lotto. Les portraits de Paolo Véronèse et du Titien ne lui sont pas inconnus. Pas davantage les sobres compositions d’un Giorgione.
À l’automne 1592, Merisi, à peine âgé de vingt et un ans, est à Rome. Capitale de la papauté, Rome est alors un centre artistique obligé et les mécènes y sont nombreux. Michelangelo Merisi, s’il ne bénéficie pas directement des bienfaits dispensés par le pape Clément VIII Aldobrandini (pontife de 1592 à 1605), obtient en revanche les faveurs et le soutien de ceux qui étaient en grâce auprès de lui. Une cour importante, composée de prélats, d’aristocrates, d’intellectuels, de commerçants, tous richissimes. Il fréquente le Cavalier d’Arpin auprès duquel il peint fleurs et fruits. Après plusieurs mois de cet exercice qui ne le satisfait pas, il décide de s’établir à son compte et de se consacrer à la peinture des figures. Il travaille alors sous le mécénat de Prospero d’Orsi. C’est à cette époque qu’il peint le Jeune garçon pelant un fruit, le Petit Bacchus malade, le Jeune garçon à la corbeille de fruits, la Diseuse de bonne aventure, les Tricheurs. Merisi est alors sous la protection du cardinal Francesco Maria del Monte, ambassadeur des Médicis à Rome. En 1595, renouant avec les paysages, Merisi exécute le Repos pendant la fuite en Égypte. Méduse, le Concert de jeunes gens, le Joueur de luth, la Sainte Catherine d’Alexandrie, la Conversion de Madeleine, Judith et Holopherne datent également de la même période. Période intense au cours de laquelle Caravage élabore son style, travaille ses ombres et s’attache à perfectionner sa technique du clair-obscur.
En juillet 1599, Caravage reçoit sa première commande publique — qui lui vient du cardinal Matthieu Contarelli — et signe son premier contrat. Il s’agit pour le peintre de réaliser deux toiles destinées à l’église Saint-Louis-des-Français. Ces deux toiles, illustrant chacune un épisode de la vie du saint — la Vocation de saint Matthieu et le Martyre de saint Matthieu — seront installées sur les parois d’une des chapelles latérales de l’église, la chapelle Contarelli.
Source
MATHIEU RIBOULET, 8. PEINDRE CEUX QUI SONT NUS IN LES ŒUVRES DE MISÉRICORDE (extrait)
Le Martyre de saint Matthieu à Saint-Louis-des-Français fait la part belle à l’assassin, central, rayonnant, poignard dans la main droite, penché sur sa victime qu’il tient par la main gauche, auquel il est relié du geste et du regard, et, surtout, presque nu. Comme sont presque nus les deux adolescents qui nous tournent le dos et contemplent la scène, à droite, et celui qui, à gauche, semble vouloir partir mais s’attarde un instant.
Que les anges soient nus, passe encore, mais les hommes ?
Peindre les bourreaux nus, c’est porter à nos sens la fine perception de ce qui noue serré le désir et la mort, l’infime instant de joie qui vise à l’accepter avant de disparaître, c’est inscrire sur la toile l’instant de notre mort- comme à Malte où, au sol, le saint palpite encore quand le bourreau attend. Peindre les témoins nus, c’est dire où sont les anges et que nous n’avons rien d’autre à faire ici-bas que célébrer le monde. Ah, serrer Adrien dans mes bras assouplis et l’amener ici voir jaillir le prodige des murs de cette chapelle…
Si le travail de la mort est vertical, celui de la grâce, dans la chapelle Contarelli, est horizontal. Face au travail du chien de l’assassin, à la peine, au labeur, à la gloire que son corps forme en déchirant l’ombre, une sorte de tranquillité domestique et paisible baigne le bureau de péage où Matthieu accomplit sa tâche quotidienne. Et c’est la belle lumière de l’étonnement que La Vocation de saint Matthieu peint sur le visage du percepteur, venue de Pierre, du Christ et des nuées hors champ, ou du récit de Marc, simple comme un bon jour : « En passant, il vit Lévi, le fils d’Alphée, assis au bureau des taxes. Il lui dit : "Suis-moi." Il se leva et le suivit » (Marc 2, 14).
On aurait suivi à moins un Christ d’une telle beauté, promesse que l’on distingue à peine.
Qu’y avait-il au creux de ces regards que le peintre parvint à saisir, dans le choix des postures, dans l’ombre des modèle et qui m’est redonné, intact, éblouissant, à plus de quatre cents ans de distance ? De quelle liberté inouïe s’est-il nourri que je la sente encore à l’œuvre sur l toile où les horizons s’ouvrent ? Est-ce le tournoiement infini de la grâce ? Celui-là dont il est assurément question dans La Conversion de saint Paul, à Santa Maria del Popolo, où il atteint un degré tel qu’il a mis Paul à terre, laissant son cheval libre envahir tout l’espace ? Celui-là même que je n’atteindrai pas ?
Mathieu Riboulet, « Peindre ceux qui sont nus » in Les Œuvres de miséricorde, Éditions Verdier, 2012, pp. 64-65.
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