Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2013.
Lecture d’Isabelle Lévesque
Ph., G.AdC
« cheminer à rebours
inaugurer d’antiques présages » Miniature. La Nudité des pierres recèle-t-elle en son sein un univers entier, celui peint par Diane de Bournazel qui a déjà illustré les couvertures de plusieurs livres parus aux éditions Al Manar ? On distingue des formes multiples, enchâssées ou juxtaposées. Tout un monde. Par ce chemin nous entrons dans le livre de Cécile Oumhani. Le recueil en effet s’ouvre sur un cheminement, dans « une ville du Nord », pour rejoindre un « rêve tendu de lin », la « contrée d’envol ». Un paragraphe en prose inaugure le livre. Nous sommes situés avant : sur le seuil du voyage, vers les terres australes, sous le signe du destin que le livre surprend pour « ce vœu de nudité » éclairant le titre. La nudité originelle fonde les retrouvailles avec « l’ampleur du rêve ». Marcheur (marcheuse) à l’immobilité vacillante, sensible à la seule lumière. Sommeil dont il faut s’abstraire pour qu’un rêve entamé, loin dans le temps, renoue le tissu du ciel et des temps séparés : « Tu fis ce vœu de nudité âpre et lumineuse » Le tutoiement porte au chant, il incite au départ accompagné d’une lyre des songes que les « odyssées muettes » réveillent pour une remémoration bienheureuse. En elle, les origines et légendes se mêlent et s’abreuvent : rêverie où l’histoire et l’épopée se meuvent de nouveau. Le narrateur, porteur de ces chants de quatre vents, se soumet aux indices laissés pour trace sous son pas : « tu caresses sous ta paume l’empreinte silencieuse des bribes d’étoiles en guise de récit » « En guise » car reviennent en chaque poème des bribes ou éclats. Au vent, la parole se disperse et soulève du passé ses poussières lumineuses et secrètes. En elle, les naufrages et la pierre nue des lumières qui renaissent : « le vent a cousu à nos paupières des sorts anciens noués dans l’étoffe éraillée de tribus disparues » Tout semble perdu, nous sommes « en deuil d’une heure évanouie ». Cette perte augure des retours flamboyants, le fil d’or du récit intègre « de nouveaux cercles ». Gloire amuïe, confondue « au ciel de crêtes ». Tout renaît, sous la plume du goéland, adepte du souvenir lorsque l’alphabet ne demande qu’à faire réapparaître des mondes engloutis. Le texte de Cécile Oumhani, peu ponctué, tend vers la fluidité du sable glissant dans les failles du temps. Rien ne l’interrompt, il se nourrit des surgissements successifs que le chant suscite. Le poète nomade, aède à la lyre figurée du ciel, lit les étoiles pour que le passé se souvienne, levant des « calligrammes », « [a]rc tendu vers l’onde ». Ce qui se courbe relie les temps, le poète lit en ces formes douces la parole oubliée. La nudité parcourt le texte et dépose sa nécessité sur les pêcheurs « pieds nus », sur « le souffle nu des chanteurs » (ou sur « nos regards nus »…). Devenue espace possible, elle se change en condition nécessaire, cruelle parfois lorsqu’il faut entendre « le cri des oiseaux qu’on égorge », vidés de leur sang, entrailles livrées « pour cueillir la mort » ou lire, dans les traces de sang, l’immémorial assaut de la mort. Cette nudité révèle enfin les parfums, « traîne de musc » des passants, fil méditerranéen de terre et mer mêlées dans le souvenir, comme s’il s’agissait de la creuser pour qu’elle signifie enfin (« le vide s’ouvre » — « Démêler l’opacité du monde / dans l’heure immobile »). Départ ou arrivée. Nous sommes promis à l’agonie. Égarés, soumis à la perte et voués à la célébration blanche, incomplète et flamboyante de « la nudité des pierres » où les mythes rejoignent la parole comme l’origine et la fin se confondent. Isabelle Lévesque D.R. Texte Isabelle Lévesque pour Terres de femmes |
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