La source est de terre, d’air, d’eau et de feu, et aussi de langage. Dans l’œuvre de Fabrice Rebeyrolle, peintre né en 1955 et qui aime lire la poésie et travailler avec les poètes, nous vivons cette origine perpétuellement renaissante, dont parle Rousseau, qui unit dehors et dedans, fin et commencement, mots et silence, homme et Dieu en une relation intime et cosmique.
Depuis les années 1980, sa peinture semble mystère du regard porté sur le monde et l’humain, quête de la lumière, celle jaillie aussi des ombres et de l’abîme, par lesquels la matière atteint sa vraie dimension physique et spirituelle. L’artiste utilise différents supports, toile, papier, carton ou bois dont le choix est déjà une décision de langage et différentes techniques, peinture, mais aussi gravure, collage, estampage, marouflage, livre-objet pour poursuivre, en un mouvement continu, un processus d’intériorisation et de transformation où le corps sujet du peintre dialogue avec le corps objet de l’œuvre. Lui-même n’a-t-il pas déclaré : je peins, je suis peint, comme si la chose retrouvait en lui genèse et pulsation, comme si la matière devenue chose, le tableau, en son expérience, devenait objet de sensation ?
La première période, celle de l’abstraction pure, révèle déjà l’essence d’une œuvre élaborée à partir de l’émotion, dont elle est un prolongement, et où tout l’être, corps, âme, inconscient, est engagé. Les tableaux, Sans titre, jusqu’aux années 1990, jouent sur la frontalité, la planéité de la toile, la rencontre de l’épaisseur des pâtes avec la fluidité des glacis, et un chromatisme dominé par les bleus, les rouges, les ocres et les gris, tonalités colorées qui resteront premières jusque dans les plus récents. Ils mettent en scène la volonté de parvenir, par-delà chaos, intensité et bouillonnement, au sens et à l’harmonie. Vrai travail de création où ce qui est indifférencié et éternel va peu à peu prendre temps et forme. Ainsi vont apparaître, dans les toiles, des résurgences : signes puis titres et enfin figures qui sont autant de nouvelles approches d’un même but : Désenfouissements (1996), Corpus (1997), Passage (1999), En partance, Mutations (1999), et toute la série des Ptôma réintroduisent la figuration et la lient à l’interrogation métaphysique qui hante le créateur.
Fabrice Rebeyrolle, Soleils noirs,
152 x 138 cm, 2009
Fabrice Rebeyrolle, Gran corpas,
137 x 76 cm, 2005
Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? Autant de questions qui résonnent aussi dans les œuvres des années 2000 en matière pure, huile, cendres, suie, goudron, charbon et bien sûr pigments, tant la couleur est toujours véhicule des sens et de l’esprit dans l’œuvre de Fabrice Rebeyrolle. Sa peinture n’en épouse pas pour autant la discontinuité, comme il s’en est inquiété dans ses Notes d’atelier, mais la vérité unique du geste et l’avancée de la quête. L’élan qui l’anime travaille en surface et profondeur, révélant le proche et les confins, creusant le secret du réel, l’archaïque, les blessures, le désir et la mort. Peau d’homme, Morceaux pour l’éternité, Postura, Hors de portée, Hombre, Planète de la mélancolie interrogent inlassablement la peinture dans son lien au corps, comme squelette et peau, incarnation nomade, présence-absence, amour et disparition. Les sujets des tableaux expriment l’entièreté de la condition humaine et annoncent les dernières œuvres, ces Vanités de 2010 qui nous rappellent la vie périssable, la perte inéluctable. Une conscience qui a déjà engendré peut-être, en 2009, le surgissement de la figure du Christ, L’Homme de toutes les douleurs, ce visage parfait de l’humanité vu comme possible retournement, Défiguration, et peut-être rédemption et transfiguration.
Fabrice Rebeyrolle, Défiguration,
138 x 152 cm, 2009
Fabrice Rebeyrolle épouse le temps en le brûlant dans l’instant de grâce. Sa peinture rend visible l’invisible qui fond et meut la réalité. Elle nous offre l’austérité, la méditation et le silence et nous pose au bord du périssable pour rejoindre l’impérissable en œuvre. Elle mêle la fragilité des règnes en faisant bouger le miroir des eaux, se dresser les silhouettes d’arbres qui nous ressemblent À la lumière d’hiver. Rayonnante, rigoureuse, elle nous dévoile La Promesse des fleurs, Coquelicots ou Ancolies (2009), mais aussi tout l’éphémère du vivant marqué par la dévastation. Les titres des dernières toiles, Soleils noirs, Fleurs obscures, Fleurs du mal, disent dans un subtil jeu de couleurs la mélancolie du monde et son inachèvement. La suite des Corneilles et Les Chers Corbeaux délicieux (2010) au dessin précis font entendre le cri muet du noir. Immobiles comme la barque, Dérive (2009), ses oiseaux témoignent de l’entre-deux , du ciel si bleu et de la terre très nue, qui signe la séparation. Le peintre, face à ce qui se dérobe, rêve alors d’un Pays perdu d’avance, vaste espace de songe et de lumière, patrie de l’âme, ciels de terre où poussent d’Étranges fleurs que nul ne voit et où tombent Des neiges en blancs bouquets d’étoiles parfumées. Par ce don d’incertitude qu’il nous fait, nous recevons le miracle de la beauté.
Dans la série des Ciels qu’il vient d’achever, il se tient derrière la grande verrière de l’atelier et regarde le paysage du ciel en ces infinies métamorphoses : formes, couleurs et lumière « où le silence respire à sa manière de nuages et de pensées flottantes ». Une vie à haute altitude qui nous ouvre « à une naissance ancienne et calme nos exils par les prodiges de la vision ».
Comme la poésie, la peinture peut nous donner l’intelligibilité terrestre et, au-delà, l’intelligibilité de ce qui n’est pas de la terre. Celle de Fabrice Rebeyrolle qui allie idée et matière, forme, signes et couleurs, retourne à la source de la pensée, du langage et de la vie qu’elle renouvelle. Elle crée un monde matériel et spirituel où nous nous tenons avec lui, créateur et créature, dans la joie, le tourment et le mystère d’exister.
Sylvie Fabre G.
D.R. Texte Sylvie Fabre G.
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Note d’AP : une première version de l'article de Sylvie Fabre G. a paru dans la revue Nunc en octobre 2010.
Fabrice Rebeyrolle, Madrigal,
135 x 150 cm, 2012
Instinct ? Ou vocation ?... de chrysalide... chacun porte le vivant "en soie"...
Certains ont reçu le don de "figurer" par sculpture, image ou mot interposés ce qui existe "en corps" "en esprit" au sein de la matière mise à sa disposition pour témoigner... de la vie alentour...
Lorsqu'ils en sont conscients et qu'ils font honneur au don qui les engage, ils propulsent le témoignage que vous venez de partager ici... MERCI
Rédigé par : Marie-Christine Touchemoulin | 14 mars 2013 à 19:52