« je veux de l’aide pour mes poumons, de l’aide
pour la cicatrice qui me gangrène le langage »
Ph., G.AdC
[JE DIS LE MOT : MOURIR]
Je dis le mot : mourir, et me fais la promesse de lui faire la peau. Je le tordrai, ce mot, essorerai s’il le faut tout le vocabulaire. Rien de nous ne vivra jamais dans ce mot-là. Devant mon bol, tisane fume, et moi je hurle de la fumée, et ton nom m’ébouillante. Alors soudain, soudain je cours à la fenêtre, non je cours à toutes les fenêtres, des unes aux autres, sans m’arrêter. Je fais mille mètres à la seconde, de grands bonds qu’on dirait : qui me secouent la tonne parce que je n’en peux plus. Pleins poumons j’ai ta voix qui m’étouffe, ta voix immatérielle qui me signe le corps. Alors oui, les fenêtres, parce que je flambe comme un champ de bataille. C’est l’enfer je me dis, je traverse l’enfer. Alors courir courir : pour avancer, tenir debout. Ne savoir du combat que la simple notion de survie parce que… Parce qu’il n’y a plus un gramme d’air dans la pièce ; parce que ta voix me troue la peau. Balcon, je happe l’air à m’y noyer et mon cœur qui s’ouvre partout. J’en ai jusqu’au bout des orteils de mon cœur, de sa : déchirure. Toute ma chair palpite de ta voix qui me vient, ou qui : ne me vient pas. C’est à devenir fou. Je happe, happe, je happe l’air. Regarde les étoiles, le parc : ne vois rien, fais simplement les gestes que fait un corps malade. De l’aide : je veux de l’aide pour mes poumons, de l’aide pour la cicatrice qui me gangrène le langage, de l’aide, oui, j’en veux pour mon cœur qui traîne jusqu’à terre, de l’aide un peu : je n’en peux plus. J’étouffe je hoquette… et puis c’est con comme la nuit, lentement, sans un bruit, je pleure… Alors enfin ta voix m’arrive : à la bonne place le Chevalier, au bon endroit : ― Au village de Kerloan, au bord de la mer, un grand chêne domine le rivage. Sur ce chêne, au clair de lune, des oiseaux s’assemblent. Des oiseaux de mer, au plumage blanc et noir.
Dans mon corps, quelque chose se rompt. Je ne sais quoi exactement. C’est une sensation délicieuse, fluide. Comme un vertige. J’espère que je meurs, que je : me débarrasse.
Édith Azam, Décembre m’a ciguë, P.O.L , 2013, pp. 59-60-61.
Retour au répertoire du numéro de mars 2013
Retour à l’ index des auteurs
Commentaires