Le jardin descend vers la mer. Jardin pauvre, jardin sans fleurs, jardin
Aveugle. De son banc, une vieille vêtue
De deuil lustré, jauni avec le souvenir et le portrait,
Regarde s’effacer les navires du temps. L’ortie, dans le grand vide
De deux heures, velue et noire de soif, veille.
Comme du fond du cœur du plus perdu des jours, l’oiseau
De la contrée sourde pépie dans le buisson de cendre.
C’est la terrible paix des hommes sans amour. Et moi,
Moi je suis là aussi, car ceci est mon ombre ; et dans la triste et basse
Chaleur elle a laissé retomber sa tête vide sur
Le sein de la lumière ; mais
Moi, corps et esprit, je suis comme l’amarre
Prête à rompre. Qu’est-ce donc qui vibre ainsi en moi,
Mais qu’est-ce donc qui vibre ainsi et geint je ne sais où
En moi, comme la corde autour du cabestan
Des voiliers en partance ? Mère
Trop sage, éternité, ah laissez-moi vivre mon jour !
Et ne m’appelez plus Lémuel ; car là-bas
Dans une nuit de soleil, les paresseuses
Hèlent, les îles de jeunesse chantantes et voilées ! Le doux
Lourd murmure de deuil des guêpes de midi
Vole bas sur le vin et il y a de la folie
Dans le regard de la rosée sur les collines mes chères
Ombreuses. Dans l’obscurité religieuse les ronces
Ont saisi le sommeil par ses cheveux de fille. Jaune dans l’ombre
L’eau respire mal sous le ciel lourd et bas des myosotis.
Cet autre souffre aussi, blessé comme le roi
Du monde, au côté ; et de sa blessure d’arbre
S’écoule le plus pur désaltérant du cœur.
Et il y a l’oiseau de cristal qui dit mlî d’une gorge douce
Dans le vieux jasmin somnambule de l’enfance.
J’entrerai là en soulevant doucement l’arc-en-ciel
Et j’irai droit à l’arbre où l’épouse éternelle
Attend dans les vapeurs de la patrie. Et dans les feux du temps apparaîtront
Les archipels soudains, les galères sonnantes —
Paix, paix. Tout cela n’est plus. Tout cela n’est plus ici, mon fils Lémuel.
Les voix que tu entends ne viennent plus des choses.
Celle qui a longtemps vécu en toi obscure
T’appelle du jardin sur la montagne ! Du royaume
De l’autre soleil ! Et ici, c’est la sage quarantième
Année, Lémuel.
Le temps pauvre et long.
Une eau chaude et grise.
Un jardin brûlé.
O.V. de L. Milosz, Adramandoni in Poésies, II, Éditions André Silvaire, 1960, pp. 113-114-115. Textes, notes et variantes établis par Jacques Buge.
O. V. de L. MILOSZ Source ■ Voir aussi ▼ → le site de l’association des Amis d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz → (sur Esprits Nomades) « Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, D’un pays d’enfance retrouvée en larmes... », par Gil Pressnitzer (dossier comprenant un choix de textes) |
Retour au répertoire du numéro de février 2013
Retour à l’ index des auteurs
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.