Le 17 février 1971 sort sur les écrans français le film de Bernardo Bertolucci, Le Conformiste (Il Conformista, sorti en Italie en 1970). Coproduction italienne, française et ouest-allemande, le film de Bertolucci est inspiré du roman éponyme d’Alberto Moravia. En partie débarrassé des arrière-plans freudiens sur lesquels le romancier a élaboré sa fiction, le film de Bertolucci met en scène un jeune professeur de philosophie qui choisit le fascisme par conformisme. Et le conformisme comme unique moyen de « survie » à un épisode traumatique de l’enfance. Par nécessité vitale de se construire dans la normalité, par peur de n’être pas conforme à l’opinion de la majorité et par crainte aussi de s’en différencier, Marcello Clerici, admirablement interprété par Jean-Louis Trintignant, opte donc pour le fascisme. Il choisit aussi d’épouser Giulia (Stefania Sandrelli), une petite bourgeoise ambitieuse et frivole, espérant que le mariage la fera accéder elle aussi à la « normalité ». Derrière le conformisme de Clerici, lié à son histoire personnelle et au poids de sa culpabilité, c’est le conformisme moderne, dénoncé par Moravia, qui est également dépeint par le metteur en scène. À la fois moral et politique, ce conformisme médiocre est la caractéristique d’une époque et d’une société qui appréhendent toute forme d’originalité et de subversion. Le voyage de noces des Clerici à Paris n’est en réalité qu’un pur prétexte. Marcello Clerici a en effet été missionné, en tant qu’espion et membre de la police secrète fasciste, pour faire exécuter son ancien professeur de philosophie, Luca Quadri, dissident politique réfugié à Paris. Mais, alors que Clerici rêve de séduire l’épouse du professeur, Anna (Dominique Sanda, Lina dans le roman de Moravia), dont il est tombé amoureux, Anna séduit Giulia, l’épouse de Clerici. En dépit du lien qui s’établit entre les deux femmes, l’étau se resserre autour du professeur Quadri (Enzo Tarascio). Et même si Marcello tente d’épargner Anna, il se sent contraint d’accomplir sa mission, en conformité avec les choix politiques qui sont les siens. Au cours d’un « voyage » en automobile, Clerici assiste silencieux à l’exécution de Quadri et de son épouse. Quelques années plus tard, en juillet 1943, dans une Rome en liesse qui fête le renversement du régime de Mussolini, Clerici se heurte à l’homme qu’il croyait avoir tué alors qu’il était enfant. Clerici comprend à cet instant qu’il a bâti sa vie sur un remords sans fondement. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de reporter sur son ancien agresseur la responsabilité de son propre crime, et dans le même temps de dénoncer un ami fasciste et de rejoindre les rangs des résistants antifascistes.
Dominique Sanda et Stefania Sandrelli dans Le Conformiste de Bertolucci Source EXTRAIT du CONFORMISTE d’ALBERTO MORAVIA Capitolo nono Il professore disse, un po’ distrattamente: « Questo luogo non mi piace… queste donne mi sembrano più degne di compassione che di curiosità ». Lina non parve aver udito l’osservazione del marito. Gli occhi pieni di una luce divorante, infatuata e vogliosa, non stacava gli sguardi da Giulia. Le propose finalmente, comme cedendo ad un desiderio irresistibile, con un riso nervoso: « Vogliamo ballare insieme? Cosí ci prenderanno per due di loro… è divertente… fingiamo di essere come loro… venga, venga ». Ridente, eccitata, si era già alzata in piedi e invitava Giulia ad alzarsi posandole una mano sulla spalla. Giulia la guardò, guardò il marito, irresoluta. Maercello disse asciutto : « Perché mi guardi?... Non c’è niente di male ». Aveva capito che doveva secondare Lina, anche questa volta. Giulia sospirò e, lentamente, malvolentieri, si alzò in piedi. L’altra, intanto, perdendo affatto la testa, ripeteva: « Se lo dice anche suo marito che non c’è niente di male…venga, venga, su, venga ». Giulia disse avviandosi, con aria di malumore : «A dire la verità non ci tengo a passare per una di loro ». Ma precedette Lina e, giunta allo spazio riservato alla danza, si voltò verso di lei, le braccia tese, per farsi abbracciare. Marcello visse Lina avvicinarsi, cingere, con sicurezza e autorità maschili, la vita di Giulia, e poi spingerla, a passo di danza, sulla pista, tra le altre coppie di ballerini. Per un momento, stupefatto in maniera dolorosa e oscura, guardò le due donne che ballavano abbracciate: Giulia era più piccola da Lina, ballavano guancia a guancia e, ad ogni passo, il braccio di Lina pareva stringere di più la vita di Giulia. Gli pareva una vista triste e incredibile: questo, non poté fare a meno di pensare, era l’amore che in un mondo diverso, con una vita diversa, sarebbe stato destinato a lui, che l’avrebbe salvato, di cui avrebbe goduto. Ma una mano si posava sul suo braccio. Si voltò e vide il viso rosso e informe di Quadri che si tendeva verso il suo: « Clerici », disse Quadri con voce commossa, « non creda che non l’abbia capito ». Marcello lo guardò e disse lentamente: « Mi scusi, ma adesso sono io che non la capisco. » Chapitre neuf
Le professeur dit de manière vaguement distraite : « Je n’aime guère cet endroit… ces femmes me semblent davantage dignes de compassion que de curiosité. » Lina ne semblait pas avoir entendu la remarque de son mari. Les yeux brillants, d’une lumière débordant d’un désir dévorant, elle ne lâchait pas Giulia du regard. Elle finit par lui proposer, avec un rire nerveux, comme si elle cédait à un désir irrésistible : « On danse ensemble ? Comme ça elles nous prendront pour deux des leurs… C’est amusant… faisons comme si nous étions comme elles, venez, venez... » Riant et tout excitée, elle était déjà debout et invita également Giulia à se lever en lui posant une main sur l’épaule. Giulia la regarda, regarda son mari, indécise. Marcello dit sèchement : « Pourquoi me regardes-tu ?... Il n’y a rien de mal. » Il avait compris que, cette fois-ci encore, il devait faire le jeu de Lina. Giulia soupira et se leva lentement et mal volontiers. L’autre, entretemps, perdant totalement la tête, ne cessait de répéter : « Si votre mari dit aussi qu’il n’y a rien de mal… venez, allez, venez donc ». Tout en s’avançant vers elle, Giulia dit avec une moue de mauvaise grâce : « À vrai dire je ne tiens pas du tout à leur ressembler. » Mais elle prit tout de même les devants et, parvenue sur la piste de danse, elle se tourna vers Lina, les bras tendus, pour se laisser enlacer. Marcello vit Lina s’avancer et saisir Giulia par la taille avec une assurance et une autorité viriles, puis la faire glisser, tout en dansant, vers la piste, au beau milieu des autres couples de danseurs. Un instant abasourdi et empli d’une douleur obscure, il regarda les deux femmes danser enlacées : Giulia était plus petite que Lina, elles dansaient joue contre joue et, à chaque pas, le bras de Lina semblait étreindre encore plus fort la taille de Giulia. Ce spectacle lui parut incroyablement triste : il ne put s’empêcher de penser que c’était là l’amour qui, dans un autre univers, dans une autre vie, aurait pu lui être destiné, l’aurait sauvé, dont il aurait pu jouir. Mais une main se posa sur son bras. Il se retourna et vit le visage rubicond et informe de Quadri qui se penchait vers le sien : « Clerici », dit Quadri d’une voix émue, « ne croyez pas que je n’ai pas compris ». Marcello le regarda et dit lentement : « Veuillez m’excuser, mais en ce moment c’est moi qui ne la comprends pas ». |
■ Voir | écouter aussi ▼ → (sur YouTube) un extrait du Conformiste de Bertolucci (la scène du bal) → (dans les archives du Nouvel Observateur) un article de Jean-Louis Bory sur Le Conformiste de Bertolucci |
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"...il ne put s’empêcher de penser que c’était là l’amour qui, dans un univers différent, dans une autre vie, aurait pu lui être destiné, l’aurait sauvé, dont il aurait pu jouir."
C'est donc dans cette danse féline qui bouleverse les conventions sociales de cette bourgeoisie - parce qu'elle est publique - qu'il (Personnage ? auteur ?) ressent un trouble étrange et pense à cette liberté qu'il s'était refusé par peur de combattre les conventions de son monde familial. Sphinx incompris, conformiste, condamné à une jouissance... contemplative ou à la jalousie. Moravia est vraiment un écrivain subtil et Bertolucci un cinéaste rare. Bravo pour la photo, le fragment choisi -et sa traduction..._ et la scène du bal en vidéo.
Et bien sûr, étonnante exploration de la tentation du fascisme.
Rédigé par : christiane | 17 février 2013 à 20:59