Image, G.AdC
[PEUT-ÊTRE, LE VISAGE SE SOUVIENT-IL ENCORE]
Peut-être, le visage se souvient-il encore, lui.
Il doit avoir des yeux comme du fenouil, des yeux comme
une seule poignée de thym sauvage dans la main.
Quelqu’un le regardait, alors.
Le regardait comme on regarde un oiseau.
Mais n’a pas aimé l’arbre, la feuille.
Aujourd’hui, je n’ai plus que des doigts.
Une vie comme une grande étoile sur la mer.
Qui s’ajoute aux étoiles.
Parfois, la nuit, une main appuie sur l’eau la courbe de
la barque.
Mais, c’est à peine.
On se dissout plus loin.
Mémoire.
Et le jour.
Et qu’il tombe.
Une main venue prendre un caillou sur la plage.
Françoise Delcarte, « Pouvoirs » in Infinitif, Éditions Seghers, 1967 (édition originale), page 30.
EXTRAIT D’UNE RECENSION D’INFINITIF PAR ROGER BODART (1910-1973)
(de l’Académie royale de langue et de littérature françaises)
parue dans Le Soir au lendemain de la publication de l’ouvrage
« […] Cette œuvre semble née du mariage de forces habituellement antagonistes. La violence qui rend aveugle, ici, mène à l’intelligence. Françoise Delcarte, héritière d’Antonin Artaud, semble hériter en même temps de Montaigne. Elle est ensemble moraliste et exploratrice du délire.
L’œuvre porte ce titre sec et clair : Infinitif, qui révèle une décision prise une fois pour toutes d’échapper au relâchement de la poésie personnelle qui dit : je, tu, il. « Quand on dit « je », on ment », disait Simone Weil. Françoise Delcarte ne fait que dire « je » et « moi », mais ce « je » se situe à une telle altitude et est tellement confronté à un autre moi, qu’il semble toujours se conjuguer d’une façon impersonnelle, à l’infinitif.
Chaque vers résonne à la manière d’une de ces très anciennes inscriptions que l’on trouve gravées à même les murs des temples, au fond des plaines d’Anatolie.
« Ici, un quiproquo de mots , de vie.
…
On me prescrit des heures.
on soigne qui je fus.
J’irai dire, plus loin,
Comment on vit en soi.
À force de fatigues. »
La coupe de la phrase, sa ponctuation hachée, impérieuse, qui écarte le mot du mot qui le suit confère à chacun de ces mots une dimension, une épaisseur, une dureté insolites. Il semble que l’être qui profère ces mots recèle en lui une multitude d’expériences prénatales.
Ce livre mince par le volume mais d’une densité presque intolérable enserre en quelques formules brèves le supplice et la joie de vivre. L’être qui brûle au centre de ce supplice et de cette joie, on le sent paradoxalement dans ce qu’il dit et au dehors, comme s’il était à la fois bourreau et victime, objet de plaisir et spectateur. […] »
FRANÇOISE DELCARTE ■ Françoise Delcarte sur Terres de femmes ▼ → [J’ai besoin d’aller seule] (poème extrait de Sables) ■ Voir aussi ▼ → (sur Chroniques Asynchrones) « Le contrepoint organique de Françoise Delcarte », par Françoise Noël → (sur LaFreniere&poesie) une note sur Levée d’un corps d’oubli sur un corps de mémoire de Françoise Delcarte (+ extraits) → (sur Orbi, Université de Liège) Préface à Infinitif, suivi de Sables, de Françoise Delcarte, par Gérald Purnelle, éditions du Taillis Pré, 2001 [PDF] |
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