Le
17 octobre 1968, l’écrivain japonais
Yasunari Kawabata est récompensé pour l’ensemble de son œuvre par le Prix Nobel de littérature.
Source
Ci-dessous un extrait d’Élégie (une des cinq nouvelles de La Danseuse d’Izu) :
Qu’elle est navrante, cette coutume des vivants d’invoquer les morts ! mais comme elle est navrante surtout, cette croyance que l’être survit en conservant, dans un monde à venir, la forme qui fut jadis la sienne dans un monde antérieur !
Le sentiment de l’analogie du destin des plantes et de celui des hommes, voilà le thème éternel de toute élégie, disait un philosophe dont le nom m’échappe ; j’ai retenu cette phrase-là par cœur mais oublié le contexte. Le destin des plantes, n’est-ce que de fleurit et de se faner ? Doit-on lui chercher un sens plus profond ? Je ne saurais le dire.
Il m’est apparu depuis peu que les textes sacrés du bouddhisme sont des chants élégiaques, et j’y puise un réconfort indicible. Aussi, lorsque je vous invoque, vous qui êtes mort, j’aime infiniment mieux m’adresser à ce prunier vermeil, déjà chargé de boutons et placé devant moi dans le tokonoma, que de vous prêter, dans l’autre monde, l’aspect que vous empruntiez dans celui-ci. Pourquoi, d’ailleurs, cet arbuste tout proche, au nom familier, plutôt qu’une fleur ignorée d’un pays inconnu ? Elle serait pour moi votre réincarnation ; je lui parlerais tout aussi bien, tant que je vous aime encore.
Ce disant, l’envie me prend d’évoquer un pays très lointain, mais je ne vois rien, je ne sens que l’odeur de la pièce où je me trouve en ce moment.
Une odeur morte, me suis-je duit, mais cela me fait rire.
Je fus cette jeune fille qui ne s’était jamais parfumée.
Vous en souvient-il ?
Une nuit, dans la salle de bains, voici quatre ans, une senteur violente m’assaillit. Sans pouvoir la définir, je jugeai incongru de respirer un parfum si puissant alors que j’étais nue. J’eus alors un éblouissement ; je perdis connaissance. À ce moment précis, vous, dans un hôtel, aspergiez de parfum la couche blanche de votre nuit de noces. Vous veniez de vous marier, sans m’en avoir fait part, après m’avoir abandonnée. J’avais beau, sur le moment, tout ignorer de ce mariage, je me rendis compte plus tard, à la réflexion, que cela se produisit à ce moment précis.
Auriez-vous par hasard imploré mon pardon, pendant cette aspersion ?
Vous seriez-vous dit soudain que j’aurais pu être la mariée ?
Les parfums qui viennent d’Occident évoquent fortement le monde […]
Vous m’avez abandonnée, mon amour, et ce doit être par satiété des témoignages d’amour qui nous comblaient. Depuis que j’ai senti, dans une salle de bains, loin de l’hôtel où vous séjourniez avec une autre, le parfum de votre nuit de noces, une porte s’est fermée pour moi.
Depuis votre mort, je n’ai pas vu votre visage une seule fois.
Je n’ai pas entendu votre voix une seule fois.
Le messager de mon esprit s’est brisé les ailes.
C’est que je ne veux pas m’envoler vers le monde des morts que vous habitez
Certes, pour vous, je rejetterais ma vie sans regrets.
Si je pouvais renaître sous l’espèce d’une marguerite, je marcherais dans vos pas. Lorsque je me suis mise à rire, après m’être dit que je respirais une odeur morte, c’était par dérision ; je n’avais jamais senti de parfum chinois qu’aux enterrements ou aux services anniversaires des morts. Cela m’a rappelé, pourtant, deux légendes de parfums trouvées dans deux livres que je viens d’acheter. […]
Yasunari Kawabata, Élégie in La Danseuse d’Izu, Éditions Albin Michel, 1973, pp. 63-64-65-67-68. Traduit du japonais par Sylvie Regnault-Gatier, S. Susuki et H. Suematsu.
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