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EXT. JOUR
La vieille dame au bout du chemin aime les figues. Elle les tient dans ses mains et ses yeux sont blancs.
Je sens sa douceur quand elle se penche pour prendre congé.
Sa blouse fleurie s’unifie à mesure qu’elle s’éloigne. La vieille dame est un peu comme ma grand-mère, perdue. Et tout ce qui l’ancre tient dans ces mains.
Je la vois maintenant comme une tache dans la verdure. Bientôt elle prend l’escalier de trois marches et disparaît sous la tonnelle.
Je peux en fermant les yeux l’entendre ouvrir la porte aux chats, et tomber comme une masse sur le parquet. Comme ma grand-mère, oui, comme ma grand-mère.
Qui me disait tout bas,
o que será será.
INT. NUIT
Parce qu’il fait chaud je ne dors pas. Le courant d’air laissé volontairement dans la chambre ne suffit pas. Il y a comme des libellules fluorescentes dans l’obscurité au-dessus de l’armoire charentaise. Je compte, elles sont au nombre de quatre. Une cinquième s’installe sur mes pupilles. Et y demeure jusqu’à poings fermés.
Dans mon sommeil je crie toujours deux trois choses qui se bousculent et qui débordent. Et puis plus rien de rêves.
Sofia Queiros, et puis plus rien de rêves, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2012, pages 19 et 27. Prix du Poème en prose Louis-Guillaume 2013.
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NOTE DE L’ÉDITEUR
La suite des jours, scandée en moments. Intérieur nuit, intérieur jour, extérieur jour, extérieur nuit : le film d’une vie, situations, atmosphères, placements du personnage – une femme –, un lieu, la nuit / le jour. Un personnage principal et plusieurs figures secondaires, autant de déclinaisons de l’amoureux, réel ou imaginaire, qui prend toute la place, remplit l’attente – l’écran.
Ce pourrait être une voix off. Ou un film muet, mais en couleurs (un film d’aujourd’hui), sans histoire que celle de la lumière qui passe, des passants qui passent, des jours et des nuits qui passent, avec arrêts sur images. La voix off ne dirait que ce que montrent les images, les remplaçant, les représentant. Par petites touches, comme de rien. Mots « éparpillés » de l’intime, collé au visage de l’attente, celle de l’autre, de l’homme, du prince charmant de l’enfance.
Jour intérieur : l’attente est silencieuse, « les images empilées » dans « le grouillis des jours », les « figures en contre-jour se font brouhaha ».
La nuit, dedans, le temps est comme dilaté, étiré, « un temps long pour tuer l’ennui » dans la régularité du métronome, mais s’y agitent les pensées et les souvenirs, le spectre de la mort (« j’ai peur du froid des morts ») qui font se « bousculer » et « déborder » les choses pour que les enfants ne « prennent le pli ».
Dehors, la nuit, les hommes ne sont que « minuscules papillons de nuit », brillants, impatients et distants, flous de toute cette distance imposée par les « murs [qui] s’épaississent ».
Extérieur jour, enfin : l’attente est invisible, discrète, inaperçue, dans la lutte de la protection de soi afin de « ne pas perdre de plumes », de ne pas se laisser « encombrer » par « celui qui veut prendre ma place » tout en s’efforçant de « voir au plus loin ». Car « que será será », ce qui arrivera arrivera, avec son « cortège de vieilleries » qui viennent ourler l’enfance en creux, accompagnent la femme à la « peur bleue » « d’enterrer l’enfance » et qui ne cesse de « guetter l’amour » sans cependant être « femme à virer seule et bleue », « toujours cette petite veine frétillante sur la tempe ».
