Ph., G.AdC
[ÉCRIRE CES TEMPS-CI POUR MOI]
Écrire ces temps-ci pour moi, c’est que tout augmente – en masse de mots, en masse de phrases, en masse d’articulations de tout – pendant que je pense à toi, c’est cette augmentation et cette concomitance. Il n’existe pas de temps dans la conjugaison qui dise la simultanéité d’une chose qui persiste avec une autre qui augmente, je veux dire au moyen d’un seul verbe. Il en faut toujours deux. Je voudrais inventer ce temps qui n’ait besoin que d’un seul verbe et pas de deux, quoi que j’écrive, pour dire cette unique chose, que j e pense à toi pendant que tout augmente – un autre type de présent, ou le présent d’un autre mode, dédoublé terrible et merveilleux. Il n’y aurait alors pas grand-chose à raconter, il n’y aurait pas grand-chose à écrire, en dehors de toutes ces masses qui augmentent, il n’y aurait qu’à laisser venir cette augmentation pour restituer dans toutes ses proportions la persistance/le souci/le tourment de moi qui te pense.
Cécile Mainardi, « III, Promenades aux phrases », Rose activité mortelle, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2012, page 142.
CÉCILE MAINARDI Source ■ Cécile Mainardi sur Terres de femmes ▼ → [ai-je une voix du fait de porter un nom] (extrait d’Idéogrammes acryliques) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site du cipM) une bio-bibliographie de Cécile Mainardi |
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Sidérante cette pensée de Cécile Mainardi liant deux impossibles : le mouvement qui signe la vie, tourbillonnant, s’amplifiant, tournant autour de cette sensation d'immobilité qui est son centre persistant, échappant au mouvement, emplissant le JE d'un durable tourment. La clarté échappe à la conscience. La tentative de superposition semble vouée à l'échec. Il lui faudrait inventer une grammaire dont nul ne s'est servi où le JE résonne dans sa plénitude, son manque, son dédoublement, son imbroglio, sa déchirure. Elle écrit, elle cesse d'écrire, elle note, elle creuse son double désir, sortant du temps de l'étreinte du cœur pour entrer dans l'écriture sans apaisement. Au milieu de ce mouvement d'accélération circulaire, un équilibre possible, pressenti, sa substance intime qui échappe à l'amplification de l'écriture, laquelle est sphérique illuminée par un centre de repos. Deux mouvements inverses conflictuels du temps extérieur et du temps intérieur d'une grâce sublime.
Rédigé par : christiane | 22 septembre 2012 à 09:24