In medias res.
Transition, aucune. Pas d’élaboration progressive, une entrée qui respecterait des étapes, une durée pour s’acclimater. Nu compris nous plonge. Syntaxe nue, privée d’outils de détermination (pas ou peu d’articles en page liminaire). Mots alignés. Géométrie tentée, d’un point à l’autre – deux visé, refuse de se constituer malgré corps en ébats.
Mathématiquement :
« isolement des peaux
semblent
figure quelconque
trouvant son axe
[…]
faire deux
d’une tentative
par une symétrie proche de l’écart à réduire »
Le vocabulaire exprime les répartitions :
« étendue barre de fraction
longée
combien de morceaux perdus lors du partage »
Il enregistre aussi des modifications :
« se change la perpendiculaire en parallèle
à minuit dix je suis sans réponse
à mon tour annulée »
Angle mathématique et conte intégrés.
Nu veut deux, trouve un. Un(e), ne sait. Débat. Écrit des poèmes à dormir debout, la syntaxe à l’envers de la grammaire. Les terminaisons « e » sont dispersées, les pronoms objets multipliés, élidés, placés à l’incongru (« m’ectoplasme », « s’être ici », « s’elle-même », « que tu l’as me vue brunir »…).
Vide ou creux. Langue, lieu désaffecté. Vacuité des syntagmes à tailler pour que dire soit exact. Le récit arrive au point de rupture :
« tu me vouloir tu
accéder prends la cuisse en collier
tu
pour le vouloir tu
dépose
pour s’accomplir »
Pronom nu énoncé, répété, encadrant (barreaux) le vers. Sections. Quatre divisent le livre dont les figures de séparation se multiplient (s’enchaînent).
Projet dé-mené. Impasse ou figure non accomplie. Le un, « je », seul, réduction à soi. Malgré les tentatives :
« rapide avec des hanches en saccade
ou des mains fermées sur cela signifie
un tu perdu ».
La géographie, « latitude longitude », entérine le séparé, un et un, alors :
« me suffire être fille
au nu coulé
tu rester tu dû en moi
sortir de là »
Les gestes, la relation, la sexualité n’aboutissent pas à la fusion :
« protégée par la page
qui me met hors de la vie
ne me touche
ne me parle
ne m’aime
ma page
la virgule fait son corps brisé
tombé qui te ne sert »
Négation incomplète, mots en réduction et place de l’adverbe bousculée finalement (ou « voir et ne que voir »), l’écriture enregistre, dit l’écart, elle porte trace du morcellement et la perte de certains éléments. Une image s’impose, elles sont rares dans ce premier livre de Pauline Von Aesch, celle du corps de la virgule altéré dans son dessin, or Pauline Von Aesch n’en utilise pas dans Nu compris. Elle emploie à plusieurs reprises « nu understand », qu’elle scande pour que ne soit pas entendu « compris » comme une inclusion mais une tension vers l’autre, destinataire absent-présent, amour-amant, deuxième élément du « un » qui manque. Irrémédiable.
L’écartement (l’écartèlement) se lit aussi sur la page, la dispersion d’une lettre signifiante qu’on n’a pu retenir :
« je suis parti
e de l’appartement »
Les sons peuvent également se télescoper, s’appesantir, une-deux-dune :
« la hanche
a cessé tout roulement
forme une
due demie d’une »
« e » égaré du deux constitué, féminin perdu quand la poésie ne compte qu’un –e et que la page perd ce qu’elle comptait de certitude. Écrire ne soigne pas. Énonce. « e » cherché, pas recouvré, perdu dans le participe passé « fillée » qui n’existe pas. Les tentatives se soldent, se désolidarisent, s’amoncellent et la solitude est cernée :
« et que nu et nue
invalidation »
La langue, disséquée, révèle, comme en photographie, elle ne fait pas écran, elle ne joue pas. Elle livre au risque de perforer des règles, elle souffre aussi.
Isabelle Lévesque
D.R. Texte Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes (25 août 2012)
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