MARTINIQUE, SEPTEMBRE 2010 - JANVIER 2011 (extraits)
Ces longs mouvements de pluie qui d’est en ouest parcourent l’île, tissant la soie compacte du matin, que me disent leurs crissements sur le métier, couvrant tout bruit, même proche, unifiant la rumeur caraïbe ? Qu’ils me préparent la matière universelle d’un habit ? Mais de quel vêtement prétendent-ils recouvrir ma peau ? Celui de la vie, celui de la mort, la toge ou le linceul ? ― Vieillir impulse de telles questions, nombreuses dès qu’au poète tout fait langue et parle à voix feutrée.
Qu’un feu plutôt, vertical, écorche le ciel jusqu’au muscle : c’est d’une déchirure que j’ai désir de m’envelopper.
[…]
La pluie, territoire attendu. Bien au-delà de l’île : animant ses forêts, ses pics, ses oiseaux, brouillant ses osselets dans la paume océane, moulant les empreintes dans le sable et dans la vague ― mais bien plus profondément que le château friable : jusque dans le cœur de l’humus et des laves, œuvrant à la pâte et aux éclosions ; jusque dans les branchies d’abysses, ruisselant sur la peau, tendant, luth, ses cordes sur le test : et la tortue résonne, pleine pourtant d’œufs et de chair, bec cornu dévoreur de méduses mué plectre sous l’averse ― et j’entends ce qui relie, la mélodie factrice de visages neufs : face de bonite, d’acajou, face d’homme confondues en pareille commune gaîté sonore, bouche ouverte à la pluie, la manne, abattue sur la mort, et balbutiant par le mucus, par la sève, par la salive, les premiers termes d’une résurrection.
[…]
― Que fais-tu ?
― J’attise. C’est l’heure des mots, le feu couve encore en ville, on perçoit les tisons.
― C’est un métier ?
― C’est l’aube, un souffle. Le monde se ravive à chaque mot que j’expire.
― Mourir ?
― Rendre. La nuit prend les choses.
― La voix ?
― Je corde à vue, mot à mot.
― Gréements ?
― Ce qui relie, pousse vers. Parole en main, nommer-tirer. Soleil-poulie, voiles. D’île en île, tracer la houache, l’eau salée plein la bouche. De celle qu’on recrache en éclat de miroir : entre lèvres et tain, l’image qui se contracte et se relâche, va, vient, créant l’empreinte.
Lionel-Édouard Martin, Martinique septembre 2010 – janvier 2011, in Brueghel en mes domaines, Petites proses sur fond de lieux, Les éditions du Vampire Actif, Collection Les Échappées, 2011, pp. 94-106-140.
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