« antique vin chargé des blessures
château démantelé
les pierres feront des maisons
toits simples sur
qui reste »
DIALOGUES D’ENCRES
Mystérieux, le titre du dernier recueil d’Isabelle Lévesque déconcerte. Énigmatique Ossature du silence. Comment circonscrire dans une forme le silence ? Quelle ossature lui donner lorsque celui-ci n’est qu’une ombre ? Par essence, volatile, fugitive, insaisissable ?
Par-delà, quel chemin de craie emprunter pour enter nos mots à ceux du poète ? Ancrer nos pas dans les dessins du père, récemment disparu. Se laisser guider au creux de l’ossature qui squelette, légère, ce petit opus, afin de percevoir ce qui, dans la jonction des mots et des encres, structure le temps. Passé présent se raboutent de part et d’autre des deux rives de la Seine, jonction étroite entre deux gestes, l’écrire et le tracer du dessin. Dialogue d’encres, « tu recommences »/« Je reviens ».
Isabelle Lévesque interroge les encres laissées par son père, jouxte ses mots à ses traits, traçant sur la page un chemin de mémoire. La poète suit les tracés du père, croquis surpris sur les carnets, à l’angle des feuilles. L’enfant des Andelys aime à les surprendre et recrée, avec les mots de ses poèmes, le lien entre « ce qui ronge, ce qui érige ». Là, sur la feuille, s’effacent les frontières, s’arriment les contraires. Les mots émaillent, trouent le silence blanc de la page. Ce qui relie ― (le calcaire) ― l’écriture. Les dessins. « La craie calme millénaire ». Creux et fentes de pierre blanche enserrent coteaux et ruines, le passé lointain de l’Histoire et celui plus proche de l’enfance ― « craie d’école, lissé », contes et vers ― et les mots tirés du silence. « L’écriture naît aux Andelys ».
Au cœur du texte ― en ouverture et en clôture, deux textes en italiques servent de bornage au texte principal ―, disséminées dans ses failles, affleurent les traces du père, légères, furtives, des esquisses, à peine, des silhouettes de murailles, des fantômes. Le Château-Gaillard de haute mémoire esquisse ses formes, ébauches de donjons, fenêtres vides et fissures, flammèches et zébrures, gouttes et pluie de traits filiformes. Quelques signes, qui trouent le rideau des parois de craie. Un paysage intérieur gagne. Habite l’espace. Un lieu chargé d’histoire et de mystère. La Normandie, la Seine, Les Andelys. Richard 1 er Cœur de Lion. Sa forteresse démantelée, son « antique vin chargé des blessures ». Ses falaises de calcaire qui forment passage entre un avant et un après.
Isabelle Lévesque questionne : le ciel, l’infini ― « racine et ciel » (la mère et le père) ―, « l’ombre du silence » ; les souffles, de la pierre et des insectes. L’écriture crypte la page, les mots sculptent le silence, le prennent dans leurs mailles. « Ossature du silence », au cœur du poème, laisse affleurer le secret de ses images duelles. Érodée, l’écriture, tout en rupture de constructions et de rythmes, érige le poème. Dans le silence blanc de la page.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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