[JE FERME LES YEUX ET LAISSE LE MOT VENIR]
Je ferme les yeux et laisse le mot venir, le mot qui bouge sous ma plante de pied, le mot que je froisse à chaque pas mais qui se redresse toujours, graminée têtue, chiendent de consolation. Le mot grimpe jusqu’à ma main qui ne le voit pas mais le saisit, sans rien demander, sans connaître son sens et son sort, ce qui l’attend dans le blanc de la page – un faux blanc, toujours maculé de vestiges, de couches de signes décomposés, de mains coupées dans la marge, paumes pleines de syllabes rouges encore vivantes. Le mot exige, parle haut. Le maître-mot veut ma gorge pour battre, ma bouche pour mordre, il cherche le réel, éperdument, mais ne sait où le rejoindre. Baudruche. Il s’enfle, hisse sa sève obscure, cherche la brèche ou le geste pour fendre le silence, l’éventrer, en deux comme fruit trop mûr, noyau à l’air, abricot doré, essence et substance mêlées, chair du monde.
Françoise Ascal, Lignées, Æncrages & Co, Collection Ecri(peind)re, 2012, s. f. Dessins de Gérard Titus-Carmel.
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