Ph., G.AdC
ULYSSE AU SEUIL DES ÎLES (extraits)
J’avance à mains nues parmi les mots. Écrire : nager, lutter avec la vague, charnellement, à tout corps. Les tirer (les mots), bras levés et les paumes en crochet, ― qu’ils reflètent ― du ciel, allongé (ciel ou moi) dans la mer l’algue et la méduse dépourvue de sang, chapelet de brûlures : des astres plein le derme, j’y lis des galaxies, mon archipel, caraïbe à paroles.
[…]
Toute mer s’en retourne aux la(r)mes, vient quelque jour bivouaquer sous les paupières avec le sel corrodeur de syllabes, mangeur de terre, et qui ne laisse en bouche, de l’insula de Virgile, que l’île démaillée par les vagues. Le sable des anses, on le croirait nourri du seul deuil des coquillages et des roches : c’est aussi concours de paroles mortes, consonnes vidées de leurs voyelles comme test d’oursin délesté de sa laitance. Que peut d’autre chanter l’île que ce thrène de fracture, l’écorchure consentie des heures telles reptile apocopant ― pour fuir et survivre à son bris ― une partie de sa membrure ?
[…]
Ulysse parle :
« Trouverai-je ailleurs plus ample afflux de mots pour dire l’éternellement pareil du monde, les chemins dans la vague, et l’île où faire escale et dessaler cuir et cœur dans l’eau douce inconstante ? Et en quel lointain ferai-je plus riche cueillette de parole que dans cette abondance toute proche, où il n’est que de tendre la bouche pour boire à l’outre des syllabes, mordre la chair du verbe ? Ma langue natale est ma nourrice et mon porcher, mon lait bourru et mon carré de viande (et le soupir des graisses quand elles s’égouttent sur la braise !) : je rentre dans Ithaque, et c’est ma langue que je rallie, flairant le fumet des phrases d’antan, et l’onde la plus douce et la moins éphémère
Est celle qui garde souvenir, dans les larmes d’une vieille femme, de la blessure de mon enfance. »
Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles, Ibis Rouge Éditions, Matoury (Guyane), 2004, pp. 12 ; 29 ; 41.
NOTE d’AP : Ulysse au seuil des îles a obtenu le Prix « Poésie » de la 7e édition du Prix du Livre Insulaire (Ouessant 2005).
C'est tellement beau... impossible d'oser un commentaire... Je lis cette variation envoûtante, regarde ce montage photographique superbe, écoute la musique : bonheur.
Rédigé par : christiane | 27 juillet 2012 à 20:02