Le
8 juillet 1593 naît à Rome
Artemisia Gentileschi. Artemisia est la fille aînée de Prudenzia Montoni et d’Orazio Gentileschi de Lomis, peintre illustre, né à Pise en 1563.
Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante Abra avec la tête d’Holopherne,
vers 1617-1618
Huile sur toile, 114 x 93,5 cm
Florence, Palazzo Pitti, Galleria Palatina
Source
C’est à l’historien d’art italien Roberto Longhi et à l’article de 1916, intitulé « Gentileschi padre e figlia », que l’on doit la reconnaissance d’Artemisia Gentileschi de Lomis comme peintre majeure. Tombée dans l’oubli depuis sa mort, celle qui fut célébrée de son vivant tant pour la qualité de son art que pour sa personnalité de femme libre, retrouve aujourd’hui sa place de figure féminine ardente, pionnière du
Seicento, haute en couleur et talentueuse.
Artemisia acquiert très jeune, sous la conduite de son père dont elle est l’apprentie, les techniques liées à la peinture. En 1611, à l’âge de dix-sept ans, un drame vient bouleverser la vie de la jeune artiste. Violée par Agostino Tassi, son professeur de dessin, ami de son père, Artemisia devra subir la violence d’un procès initié par son père. Ces événements tragiques orientent sa vie et impriment à l’œuvre d’Artemisia une tonalité particulière. Mariée en 1612 au Florentin Pierantonio Stiattesi, Artemisia quitte Rome pour Florence et entre à la cour du Grand Duc de Toscane, Cosme II de Médicis. Commence alors la carrière mouvementée d’une femme qui entend mener de front sa vie personnelle et sa vie d’artiste. Après Florence (1613-1620), Artemisia revient à Rome (1620-1626) où elle travaille pour la cour pontificale puis se rend à Venise (1627-1630), à Naples, à la cour du Vice-Roi (1630-1638), et enfin à Londres (1638-1640) pour travailler aux côtés de son père. Elle termine sa carrière à Naples où elle meurt, sans doute en 1654.
« Être femme et peintre à cette époque-là est en soi un défi », écrit Catherine Weinzaepflen sur le premier rabat de la couverture d’Orpiment, roman consacré à Artemisia Gentileschi.
ORPIMENT (extrait)
Gaspare me met en paix avec mon travail. Ce doit être cela l’amitié : être capable de voir l’autre.
Je suis contente de cette Suzanne, mais il a raison : ce n’est pas celle de la Bible. Elle ne peut être à ce point torturée et effrayée par les vieillards alors qu’elle est innocente. Ça me donne envie de faire une autre Suzanne et les vieillards.
Quant à la Maddalena, j’aimerais lui trouver l’intensité de regard de la femme au turban bleu, mais ça ne marche pas. Tant pis. L’expression du visage compensera peut-être un regard qui reste intérieur. Le regard d’un portrait est la chose la plus difficile qui soit, j’imagine que dans la musique ou l’écriture, il y a des équivalents.
D’ailleurs il me semble bien que Mira, combien elle me manque…, Mira disait que l’écriture de l’amour était la pire des gageures. J’ai la sensation que la représentation du regard relève de la même difficulté. De toute façon, aujourd’hui je n’arriverai pas à travailler ce visage.
Vous sortez madame ?
Oui. Je vais au marché et j’emmène les filles, tu peux disposer de ton après-midi.
Mais madame…
Daria, ce n’est pas parce que les autres font comme ci ou comme ça que nous sommes obligées de faire pareil. Que tu ne bouges pas d’ici au prétexte que je pourrais avoir besoin de toi est absurde.
Si vous allez au marché : il n’y a plus de fromage.
D’accord.
L’air est délicieux ce matin, si léger le long du fleuve. J’ai tort de ne sortir qu’en fin de journée lorsque la chaleur intensifie les odeurs de pourriture. Je ne peux m’accorder aucune liberté avant d’avoir travaillé. Mira, si seulement tu étais là, que nous reprenions cette discussion où tu parlais à propos de l’art, d’imposture et de courage à la fois – j’avais du mal à suivre ta pensée, l’idée d’imposture me rebute. Pourtant…
Jamais vu le reflet des maisons dans l’Arno, l’eau est parfaitement calme aujourd’hui. Immobile on dirait. Il faudra que je me souvienne du fleuve en ruban bicolore : gris et vert. Le paysage est une image du monde. J’aimerais que le personnage, la Maddalena par exemple, soit une représentation du monde vu de l’intérieur.
Je ne sais pas, ne sais plus. Imposture, disait Mira. Je n’ai plus personne pour penser avec moi depuis que j’ai quitté Rome. Trop seule dans ces zones d’inconnu. Il n’empêche : la peinture me fait traquer ceux qui sont autour de moi, me fait les regarder et les renifler comme un chien peut le faire. Perception intuitive. C’est ce qui fait la différence avec les hommes : Orazio et mes frères ne marchent pas sur des sables mouvants, ils ont des certitudes.
Il m’arrive de me dire que la Maddalena a trop de robe jaune autour d’elle, mais finalement je suis assez satisfaite que son buste et son visage surplombent une telle masse de tissu, une robe dont je me suis souvenue qu’elle était celle de ma mère. Francesco me croit folle lorsque je lui confie ce genre de choses. La botte de navets ! un violet transparent qui passe au blanc autour des tiges vertes. Et les asperges : autre vert qui n’est pas celui des olives, proche pourtant.
Le fils du boucher est beau. Quand je vais chez lui c’est pour regarder son visage. Je ne peux imaginer une seconde les pensées de cette tête aux boucles brunes, en deçà des paroles toutes prêtes que profère sa bouche charnue. Il faudrait lui demander de poser, je n’oserai jamais…
Catherine Weinzaepflen, Orpiment, Des femmes | Antoinette Fouque, 2006, pp. 50-51-52.
Artemisia Gentileschi, Madeleine pénitente, 1620-1625,
Huile sur toile, 146 x 109 cm,
Florence, Palazzo Pitti, Galleria Palatina
Source
De la couleur, de la couleur. Parlez-moi de la couleur ! Et là cette fine notation : "La botte de navets ! un violet transparent qui passe au blanc autour des tiges vertes. Et les asperges : autre vert qui n’est pas celui des olives, proche pourtant...". Ah, quelle jouissance à venir que ce livre ! Elle est peintre et femme mais avant tout peintre. Le neutre. Le métier. Transcender l'opposition homme-femme face à l’œuvre. D'abord la toile. Plus tard, découvrir ses batailles, son courage, son sexe.
Et les toiles vues à Paris en juin, ça tient aux yeux. Du solide, de la belle ouvrage. J'aime particulièrement cette Judith et sa servante. Superbe mouvement. Et cette lumière, ces ombres dans les plis du vêtement. Ce fond noir si juste.
Catherine Weinzaepflen... une écriture exigeante. Oui, ça va être une bonne lecture.
Rédigé par : christiane | 08 juillet 2012 à 17:34