Entrevue et traité de Tilsit Source [SIGNATURE DU TRAITÉ DE TILSIT] Le 7 juillet 1807, quand le traité de Tilsit fut signé entre les empereurs de France et de Russie, Pozzo dut sans doute murmurer, comme l’avait fait un proche d’Alexandre après Austerlitz : « On se serait cru à une demi-heure de la fin du monde. » La nouvelle lui fut annoncée alors qu’il se trouvait sur une frégate russe et qu’il venait d’assister au combat naval du mont Athos où la flotte turque fut écrasée. Il s’était embarqué aux premiers jours d’avril à Corfou ; à la fin de l’été, une dépêche du nouveau ministre des Affaires étrangères, Budberg, lui signifiait que sa mission était terminée. Après Tilsit, Pozzo n’existe plus. Il est malade, en proie à la fièvre. Il voit le tsar et, à la suite de leur entretien, lui écrit pour lui rappeler la teneur de leur conversation. Sans doute sait-il les puissants oublieux et veut-il sceller, par cette lettre, le pacte moral qu’ils ont conclu : « À mon retour des Dardanelles, je suis venu, Sire, me mettre aux pieds de Votre Majesté Impériale. Sa politique avait changé, mais j’eus le bonheur d’être convaincu que son opinion et sa bonté envers moi étaient toujours les mêmes. […] J’exposai avec candeur à Votre Majesté mes opinions en général et les embarras de ma situation particulière. Elle daigna apprécier les motifs qui me décidaient à m’éloigner, et elle me permit de voyager avec des marques de sa faveur et de sa munificence. » Pozzo, si j’ose dire, sauve les meubles, mais il doit quitter Saint-Pétersbourg au plus vite et rentre à Vienne, épuisé. Le comte Romanzoff lui donne asile pour peu de temps. Metternich, pour la première fois, mais ce ne sera pas la dernière, et « avec des formes les plus exquises », dit Pozzo, le prie de quitter Vienne. Sa vie est menacée : la police de Napoléon est à ses trousses. Il écrit de nouveau au tsar : « Que Votre Majesté me donne l’autorisation de partir. Loin de lui être utile, je ne lui serais maintenant qu’un embarras. Bonaparte n’a point oublié sa haine de jeunesse. […] Au reste, je doute que l’harmonie soit durable entre Votre Majesté et Napoléon. […] Je ne cesse point d’ailleurs d’être un serviteur de Votre Majesté. Avant qu’il se soit passé beaucoup d’années, je le prévois, elle aura daigné me rappeler. » Dans ces années qui voient le triomphe de Napoléon, il faut imaginer la terrible solitude de Pozzo. Perdu, sans appui, exagérant quelquefois cette solitude et son dénuement, se soutenant à l’idée que l’ordre des choses finira par triompher et les Bourbons avec lui, Pozzo oppose à Napoléon la persévérance de l’obscur. Longtemps, rien n’alla comme il l’aurait voulu. Il en conçut de l’amertume, souvent dissimulée sous l’ironie du propos ; j’y vois la cause de l’obstination qu’il mit à faire persécuter Napoléon après sa chute et à le faire exiler à Sainte-Hélène, ce qui n’était pas digne du grand adversaire loyal qu’il avait toujours été. Au moment où je trace ces lignes, le doute m’étreint : Pozzo fut-il vraiment le grand adversaire loyal de Napoléon ?
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■ Marie Ferranti sur Terres de femmes ▼ → Marie Ferranti, Une haine de Corse (note de lecture d’AP) → Postures et impostures de l’écrivain (billet d’AP autour de Lucie de Syracuse) → La Princesse de Mantoue (note de lecture d’AP) → Mort et résurrection d’une île ? (note de lecture d’AP sur La Chasse de nuit) → Bastia (extrait de La Fuite aux Agriates) ■ Voir aussi ▼ → (sur herodote.net) 7 juillet 1807 | Le traité de Tilsit → (sur Terres de femmes) 15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme (entrée du Général Bonaparte dans Milan) → (sur Terres de femmes) 26 novembre 1812 | La Grande Armée au bord de la Bérézina (extrait de La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï) → (sur Terres de femmes) 29 mai 1816 | Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène → (sur Terres de femmes) 5 mai 1821 | Mort de Napoléon Bonaparte (extrait de Vie de Napoléon de Chateaubriand [livre XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe]) |
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Une haine de Corse vient d'obtenir le Prix du Livre Corse 2012 dans la catégorie Roman.
Rédigé par : Angèle Paoli | 08 juillet 2012 à 01:43