Ph., G.AdC
OUBLIER L’HEURE (extrait)
Ce qu’on appelle la beauté. Pour dire ce qui s’échappe. Quelque chose qui n’est ni les feuilles, ni la lumière, ni les couleurs mais l’instant de leur rencontre. Comme l’oiseau et son cri ou la main et son ombre. Un suspens de celui qui parle au milieu de ses mots. Je ne dis plus rien. Mais sur la joue, je mets en joue :
― Tu joues ?
― Je mets du jeu.
― Du je ?
― Du jeu. Le je n’y est pour rien.
La mousse et l’écorce. Je regarde toujours. L’espace bouge, pas les feuilles. Demain s’est arrêté, comme la montagne, juste au fond des yeux. La traversée du jour se fait mal, mes mains sont trop pleines. Les vider demande un effort. Surtout quand on attend ce qui ne vient pas, puisque c’est là. Soudain, je ne sais plus. La margelle et le seau ont basculé. Le noir est devenu plus noir. Je retrouve la mousse et l’écorce. Et le ciel à l’envers.
Parce que je suis perdu, le jour recommence. Sinon, il serait son nom, simplement. Je ne le verrais pas. Je ne dirais pas ce que j’en sais. C’est-à-dire pas grand-chose. Mais là : ce qui tombe, monte, traverse le regard ; ce qui brille, s’éteint ; ce qui tremble ou s’obstine. Se taire pour parler mieux ? Deux heures dix. Quelle somme de souffrances, dis-tu. Ça, c’est aussi le jour. Tous ces cris. On n’y voit plus. Comme tout faire tenir ensemble ? L’odeur et les pommes, le rouge et le sang. Oui, je suis perdu mais je vois quelque chose.
― Quelque chose ?
― Oui, quelque chose ― pas rien.
Jacques Ancet, « Oublier l’heure » in Chronique d’un égarement, Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 Yeux, 20213 Castellare-di-Casinca, 2011, pp. 32-33.
Tout ce silence en travail sous la parole. Il faudrait dissoudre ce qui fait mal aux mots, leurs griffes de douceur, les apaiser avec un regard aimé...
Rédigé par : christiane | 26 juin 2012 à 11:48
Merci, chère Angèle Paoli, de votre accueil chaleureux et amical.
Jacques Ancet
Rédigé par : Jacques Ancet | 26 juin 2012 à 16:04
L'émotion derrière chaque mot, cette rythmique qui offre une respiration entre fragilité et souffle suspendu, j'aime ce voyage dans l'esprit...
Rédigé par : Tatieva | 27 juin 2012 à 13:33