« monochromie
amoureuse des nageurs [...]
maladroitement nos corps plongent
comme s’ils tombaient
et replongent
en désespoir de cause »
Bill Viola, Stations
Source
LA DERNIÈRE RIVIÈRE, extrait
je reconnais la rivière
à gauche, elle coule
sur un rectangle de vitres
au simple toucher
la bague d’une autre à ton annulaire
l’acharnement de ton os de ta joue
tout près, ailleurs
on ne discerne plus ni qui ni quoi
entre et sort
dans ce jour maigre
tandis qu’un jet de rayons touche
tes derniers draps
la rivière coule ― linceul déjà
enveloppe mobile
même sans avenir
cette chambre n’est pas encore verte
malgré son authentique indifférence
est-ce encore nous, toi
l’inconnu au bout de mes doigts
de l’autre côté
si peu
ici, autrefois, tout de suite
c’est sans mesure
entre rivière et chambre
du fond vers la surface
je nous ramène
et recense les pièces de l’étreinte
la scène s’étend
nous occupons mur et sol
droite couchée, droite debout
monochromie
amoureuse des nageurs
jeunes, si jeunes
sur la tapisserie d’angle
cinq bassins d’eau, cinq plaques de granit
Stations de Bill Viola
maladroitement nos corps plongent
comme s’ils tombaient
et replongent
en désespoir de cause
jusqu’au bout leur installation de silence
puisqu’au final tout meurt
devant
la vie déjà se souvient
une île et l’univers
nulle part l’éternité […]
Denise Desautels, « La dernière rivière » in L’Angle noir de la joie, Éditions Arfuyen, Paris-Orbey | Éditions Le Noroît, Québec, 2011, pp. 41-42-43.
________________________________________
NOTE d’AP : dans le cadre des 6es Rencontres européennes de littérature de Strasbourg, L’Angle noir de la joie a reçu le Prix de Littérature Francophone Jean-Arp 2010.

|
Retour au répertoire du numéro de juin 2012
Retour à l’ index des auteurs
Ce poème est d'abord graphique. L'évocation de Stations de Bill Viola donne aux mots un noir électrique, un rythme, un reflet. Cette double chute interminable de celui qui part, de celui qui reste. Lequel tombe ? Miroirs... Il faut du temps pour se séparer d'un mort qui faisait la vie jamais seule. Ça pèse de toute une folie d'amour dévasté. Magnifique. Douloureux. Ça fait mal aux yeux ce poème de Denise Desautels comme le passé.
Rédigé par : christiane | 27 juin 2012 à 21:41