Le
20 mai 1799 naît à Tours
Honoré de Balzac, fils de Bernard-François Balzac et de Anne-Charlotte-Laure Salambier.
Source
Fasciné par l’auteur de La Comédie humaine, l’écrivain autrichien Stefan Zweig a consacré à Balzac une importante biographie : Balzac, Le roman de sa vie.
EXTRAIT
Sur les six années passées par Balzac au pensionnat des Oratoriens de Vendôme, un vrai bagne des esprits, nous avons deux témoignages divers, celui des registres scolaires dans sa sobriété officielle, et, dans sa splendeur poétique, Louis Lambert.
Les autorités scolaires notent froidement :
« N° 460. Honoré de Balzac, âgé de 8 ans et un mois a eu la variole sans dommages consécutifs. Caractère sanguin, s’échauffe aisément et est sujet parfois à de violents emportements. Entrée au pensionnat le 22 juin 1807. Sortie le 22 avril 1813. Adresser les lettres à M. Balzac père à Tours. »
Ses camarades gardent seulement le souvenir « d’un gros garçon joufflu à la figure rouge. » Tout ce qu’ils trouvent à raconter se rapporte à son aspect extérieur ou à quelques anecdotes suspectes. Les pages biographiques de Louis Lambert n’en mettent que plus tragiquement en lumière le drame de la vie intérieure de ce garçon génial doublement torturé en raison de son génie.
Pour retracer ses années de formation, Balzac a choisi le procédé du double portrait : il se peint sous les traits de deux camarades de classe, ceux du poète, Louis Lambert, et ceux de « Pythagore » le philosophe. Il a, comme le jeune Goethe dans les figures de Faust et de Méphistophélès, dédoublé sa personnalité. Il attribue à deux images distinctes les deux faces fondamentales de son génie : la puissance créatrice qui anime les figures de sa vie, et la puissance organisatrice qui veut faire apparaître les lois secrètes des grandes combinaisons de l’être. En réalité il est lui-même sous ces deux figures Louis Lambert, ou du moins les événements extérieurs vécus par ce personnage prétendu imaginaire sont ceux qu’il a vécus lui-même. Parmi les portraits qu’il a tracés de lui ― Raphaël dans La Peau de chagrin, d’Arthez dans Les Illusions perdues, le général Montereau dans l’Histoire des Treize ―, il n’en est pas de plus achevé, il n’en est pas de plus manifestement vécu que le destin de cet enfant relégué dans une école ecclésiastique sous une discipline spartiate […]
Au cours de ces années Balzac n’est presque jamais venu à la maison et, pour accentuer encore la ressemblance avec son propre passé, il fait de Louis Lambert un orphelin sans père ni mère. La pension, qui ne comprend pas seulement la rétribution scolaire, mais aussi la nourriture et le vêtement, est relativement modique et on fait sur les enfants, de scandaleuses économies. Ceux dont les parents n’envoient pas de gants ni de sous-vêtements chauds ― et Balzac se trouve, grâce à l’indifférence de sa mère, parmi les moins favorisés ― traînent l’hiver dans l’établissement les mains gelées et des engelures aux pieds. Balzac-Lambert, particulièrement sensible dans son corps et dans son âme, souffre, dès le premier instant, plus que ses camarades paysans.
« Accoutumé au grand air, à l’indépendance d’une éducation laissée au hasard, caressé par les tendres soins d’un vieillard qui le chérissait, habitué à penser sous le soleil, il lui fut bien difficile de se plier à la règle du collège, de marcher dans le rang, de vivre entre les quatre murs d’une salle où quatre-vingts jeunes gens étaient silencieux, assis sur un banc de bois, chacun devant son pupitre. Ses sens possédaient une perfection qui leur donnait une exquise délicatesse, et tout souffrit chez lui de cette vie en commun. Les exhalaisons par lesquelles l’air était corrompu, mêlées à la senteur d’une classe toujours sale et encombrée des débris de nos déjeuners ou de nos goûters, affectèrent son odorat ; ce sens qui, plus directement en rapport que les autres avec le système cérébral, doit causer par ses altérations d’invisibles ébranlements aux organes de la pensée. Outre ces causes de corruption atmosphérique, il se trouvait dans nos salles d’étude des baraques où chacun mettait son butin, les pigeons tués pour les jours de fête, ou les mets dérobés au réfectoire. Enfin, nos salles contenaient encore une pierre immense où restaient en tout temps deux seaux pleins d’eau, espèce d’abreuvoir où nous allions chaque matin nous débarbouiller le visage et nous laver les mains à tour de rôle en présence du maître. De là, nous passions à une table où des femmes nous peignaient et nous poudraient. Nettoyé une seule fois par jour, avant notre réveil, notre local demeurait toujours malpropre. Puis, malgré le nombre des fenêtres et la hauteur de la porte, l’air y était incessamment vicié par les émanations du lavoir, par la peignerie, par la baraque, par les mille industries de chaque écolier, sans compter nos quatre-vingts corps entassés. Cette espèce d’humus collégial, mêlé sans cesse à la boue que nous rapportions des cours, formait un fumier d’une insupportable puanteur. La privation de l’air pur et parfumé des campagnes dans lequel il avait jusqu’alors vécu, le changement de ses habitudes, la discipline, tout contrista Lambert. La tête toujours appuyée sur sa main gauche et le bras accoudé sur son pupitre, il passait les heures d’étude à regarder dans la cour le feuillage des arbres ou les nuages du ciel ; il semblait étudier ses leçons ; mais voyant sa plume immobile ou sa page restée blanche, le Régent lui criait : « Vous ne faites rien, Lambert » !
Louis Lambert, X, pp. 371-372 [édition Conard, Paris, 1912]
Stefan Zweig, Balzac, Le roman de sa vie, Éditions Albin Michel, 1950 ; Le Livre de Poche, n° 13925, 1999, pp. 16-17-18. Traduit de l’allemand par Fernand Delmas.
Biographie posthume traduite par Fernand Delmas qui en a réuni patiemment les fragments éparpillés dans les textes inachevés de Zweig. Zweig... Je pense à sa fin désespérée. A Lotte, sa femme qui l'accompagna dans ce geste. Je pense à Vienne, à cette communauté intellectuelle, artistique anéantie par le nazisme. Quel écrivain fin, lumineux, humaniste. Qu'a-t-il cherché pendant ces dix dernières années dans la vie et l’œuvre de Balzac qu'il admirait ? (Cet extrait est témoin de ses recherches scrupuleuses). Ce visage terrible sculpté par Rodin esquisse un début de réponse... Deux vies hors-normes réunies dans un livre par l'écriture : un double bonheur...
Rédigé par : christiane | 20 mai 2012 à 22:36