Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) et Marguerite Gérard (1761-1837)
Le Baiser à la dérobée, v. 1780
Huile sur toile, 45,1 cm x 54, 8 cm
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage
Source
Le 1er mai 1786 a lieu au Burgtheater de Vienne la première représentation des Noces de Figaro (Le Nozze di Figaro) de Wolfgang Amadeus Mozart, sous la direction du compositeur. « Commedia per musica » en quatre actes, Les Noces de Figaro ont été composées par Mozart sur un livret (en italien) de Lorenzo Da Ponte (1749-1838), inspiré de la pièce très controversée ― et un temps interdite de représentation ― du dramaturge français Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, La Folle Journée ou le Mariage de Figaro (écrite en 1778, et créée à la Comédie-Française le 27 avril 1784). Dans une note de la préface du livret original, Da Ponte définit cette comédie non comme une traduction de l’œuvre de Beaumarchais mais plutôt comme une « imitation », ou mieux, un « extrait ». Supprimant un acte entier, Da Ponte resserre l’intrigue autour d’un nombre restreint de personnages (onze au lieu de seize). Transposée sur le plan de la musique et idéalisée par elle, la comédie de Beaumarchais se trouve transfigurée. Simplifiée sans pour autant que soient minimisées les préoccupations sociales, cette « comédie pour musique » vive, enjouée, légère, est à la fois plus humaine et plus divine que La Folle Journée.
Peu soucieux de la censure exercée en Autriche sur Le Mariage de Figaro, soutenus par l’empereur Joseph II, Mozart et Da Ponte affrontent l’aristocratie viennoise en lui imposant, avec Les Noces de Figaro, « un genre de spectacle nouveau ». En dépit d’une distribution brillante ― la Storace dans le rôle de Suzanne, Luisa Laschi, dans celui de la comtesse, Francesco Benucci pour Figaro et Stefano Mandini pour le comte Almaviva ―, l’accueil réservé à l’opéra par la bonne société viennoise n’est pas aussi enthousiaste que prévu. Sans doute l’aristocratie n’apprécie-t-elle que modérément le renversement des valeurs mis en scène à travers l’opéra mozartien. Sans doute aussi la dimension cathartique assumée par la scène finale lui échappe-t-elle. Le sublime septuor « Ah, tutti contenti saremo così » (« Ah ! Comme nous serons tous heureux ainsi ») qui voit le comte s’agenouiller aux pieds de la comtesse, demander publiquement pardon et reconnaître ainsi la véritable dimension de l’amour, ne suffit-il pas à les convaincre des qualités exceptionnelles de cet opéra.
Il faut attendre la présentation de l’œuvre à la fin de l’année 1786, à Prague, ville progressiste et contestataire, pour voir triompher Les Noces de Figaro. Au lendemain de la première représentation pragoise, « les airs de Figaro remplissaient les rues, les jardins, et il n’était point jusqu’au harpiste de brasserie qui ne fût obligé d’y aller de son Non più andrai » (Franz Niemtschek).
Avec Les Noces de Figaro, une création de la maturité du compositeur, Mozart atteint l’acmé de son art. Allié à l’habileté de Da Ponte, son génie lui permet de hisser Les Noces de la catégorie d’« opera buffa » ― pour laquelle elle avait été initialement conçue ― à celle de comédie musicale. Mozart, qui met ici en œuvre toutes les ressources musico-dramatiques dont il dispose, parvient à effacer les frontières entre les styles, dépassant les clivages « opera buffa » / « opera seria ». S’il est vrai que la scène de reconnaissance Bartolo-Marcellina-Figaro s’inscrit encore dans la tradition de la comédie de Plaute et de Térence, et, plus près de Beaumarchais, dans la thématique de l’enfant prodigue chère à Greuze, il n’en demeure pas moins que Mozart, en subtil psychologue, tire le vieux couple de la caricature vers une plus grande humanité. Le renversement de situation apporté par la découverte que Marcelline et Bartolo sont les parents de Figaro, désamorce leur violence. Les rivalités amoureuses font place à la tendresse filiale. D’ennemis mortels, Bartolo et Marcellina deviennent les anges-gardiens de Figaro et de Suzanne.
Un même souci de vérité touche les personnages principaux. Qu’y a-t-il de bouffe en effet dans le choix de Figaro qui place l’action de l’opéra ― dès la cavatine « Se vuol ballare, signor contino » ― du côté de la ruse plutôt que du côté de la violence ? Dans la compréhension et la générosité de la comtesse Almaviva ? Dans l’idée qu’un valet va pouvoir goûter à un bonheur qui demeure inaccessible à un aristocrate ? Dans la grâce de l’amoureuse Suzanne, son intelligence et sa joyeuse confiance en la vie ? Dans l’ambiguïté psychologique du comte Almaviva ? Quant à Chérubin et à ses délicieuses fantaisies, le Don Juan en herbe (interprété par la jeune Dorotea Bussani) est immortalisé par l’arietta « Voi che sapete ». Mais c’est sans doute dans la peinture des personnages féminins que Mozart excelle. Toute la palette des sentiments se déploie à travers les figures féminines de Rosina (comtesse Almaviva) à Susanna en passant par la touchante Barberina à la recherche de son épingle perdue et par le « Cherubin d’amore », page travesti en jeune fille.
La finesse d’analyse de Mozart dans les duos que le compositeur ménage pour ses personnages : duo de l’introduction, dans laquelle Suzanne et Figaro, tout occupés à leurs préparatifs de mariage, prennent les mesures de leur chambre tout en essayant de déjouer les plans de séduction du comte ; duo de la comtesse et de Suzanne ; de Suzanne et de Marcellina ; de Suzanne et de Chérubin. Quant à la virtuosité du compositeur, elle atteint son apogée dans les deux grands finali : celui de Figaro dans l’Acte I ― « Non più andrai, farfallone amoroso » ; et dans le septuor éblouissant de l’Acte IV, qui oppose la comtesse, Suzanne et Figaro au comte, à Marcelline, Bartolo et Basilio (maître de musique) : « Ah, tutti contenti saremo così ».
Le triomphe remporté à Prague par Les Noces de Figaro ouvre la voie aux deux grandes œuvres suivantes : Don Giovanni et Così fan tutte. Opéras dont la popularité et le succès ne parviendront pas à éclipser durablement ceux du précédent chef-d’œuvre.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
NOTE : la première représentation française des Noces de Figaro de Mozart eut lieu le 20 mars 1793, à Paris, Salle de la Porte Saint-Martin, dans une adaptation en français de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.
Pour compléter ce magnifique billet (et sa pertinence en cette première semaine de mai), cette annonce :
http://www.festival-aix.com/fr/node/1953
En italien sous-titré en français !
Rédigé par : christiane | 01 mai 2012 à 18:41