XI CANZONE DI UNA STANZA Poi che di doglia cor conven ch’ i ’ porti e senta di piacere ardente foco e di virtù mi tragga ’n sì vil loco, dirò com’ò perduto ogni valore. E dico che ’ miei spiriti son morti e ’ l cor, che tantt’à guerra e vita poco; e ss’e’ non fosse che ’l morir m’è gioco, fare’ ne di pietà pianger Amore. Ma, per lo folle tempo che mm’à giunto, mi cang’io di mia ferma oppinïone in altrui condizione, sì ch’io non mostro quant’io sento affanno; là ’ nd’eo ricevo inganno: ché dentro da lo cor mi pass’Amanza, che sse ne porta tutta mia possanza.
Puisqu’il faut qu’un cœur de douleur je porte et sente du plaisir le feu ardent, passant de vertu à avilissement, je dirai comment j’ai perdu ma vaillance. Et je dis que mes facultés sont mortes et mon cœur, qui a tant lutté et vit peu ; et si ce n’était que mourir m’est joyeux, je ferais pleurer Amour d’indulgence. Mais par cette folie qui m’a saisi, voici que ma fermeté s’est changée en état étranger, au point que je ne montre pas mon angoisse ; le leurre me dépasse : car dans mon cœur m’est entrée la Passion qui exerce sur moi sa domination. Guido Cavalcanti | Danièle Robert, Rime, éditions vagabonde, 2012, pp. 62-63. Édition bilingue. Traduit de l’italien, présenté et annoté par Danièle Robert. Œuvre décisive du Duecento italien, la poésie de Guido Cavalcanti est assurément, sur le plan littéraire, ce que Baudelaire appelle un « phare » dans le poème qu’il consacre aux peintres et sculpteurs majeurs de l’histoire de l’art. Elle est en effet le réceptacle d’une tradition courtoise et, plus largement, le résultat d’un croisement de courants philosophiques et poétiques au sein desquels elle fait entendre une voix tout à fait singulière, flamboyante, neuve, qui a initié pour plusieurs siècles toute la lyrique occidentale. Aîné de Dante et « premier de ses amis », premier à l’avoir accueilli, alors que celui-ci n’avait que dix-huit ans, dans le cercle exigeant des poètes d’une avant-garde qui allait porter ― sous la plume de Dante ― le nom de dolce stil nuovo, Guido Cavalcanti est un poète dont la virtuosité est inséparable d’une charge émotionnelle intense. La chanson présentée ci-dessus est un extrait de la traduction intégrale des Rime entreprise par Danièle Robert, traduction qui prend en compte la subtilité métrique et prosodique constitutive de cette poésie afin de donner à entendre, à l’intérieur même d’un système désormais inscrit dans le passé, la modernité et l’universalité d’une pensée extraordinairement vivante. Cette nouvelle traduction (publiée par les éditions vagabonde) est accompagnée d’un essai qui situe l’œuvre dans son contexte et, en fin d’ouvrage, d’un important appareil critique. Danièle Robert a traduit pour Actes Sud, outre l’œuvre poétique de Paul Auster (Disparitions), Le Livre de Catulle de Vérone (intégralité de l’œuvre poétique) et, en trois volumes (Les Métamorphoses, Écrits érotiques, Lettres d’amour, lettres d’exil), la quasi-totalité de l’œuvre d’Ovide, entreprise pour laquelle elle a reçu en 2003 le prix Laure-Bataillon classique et, en 2007, le prix de traduction de l’Académie française. Elle est l’auteur d’un essai et d’un récit parus aux éditions Le temps qu’il fait : Les Chants de l’aube de Lady Day et Le Foulard d’Orphée. Elle a déjà traduit pour vagabonde un recueil de poèmes de Michele Tortorici : La Pensée prise au piège, et travaille actuellement à la traduction du recueil Viaggio all’osteria della terra (ed. Manni), du même auteur (notice établie d’après le Prière d’insérer de l’éditeur). |
■ Guido Cavalcanti sur Terres de femmes ▼ → Guido Cavalcanti | Danièle Robert III sonetto ■ Voir | écouter aussi ▼ → (sur Les Carnets d'Eucharis de Nathalie Riera) une note de lecture de Claude Minière sur Rime de Guido Cavalcanti (traduction de Danièle Robert) → (sur le site de France Culture) Guido Cavalcanti par Danièle Robert (émission « Ça rime à quoi » de Sophie Nauleau - 20 mai 2012) |
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