Source PRINTEMPS (extrait) Le soir du 24 avril, je scrutais le ciel pour être le premier à découvrir la patrouille des martinets noirs venus en reconnaissance. Ils étaient deux ou trois et, quand je les voyais sillonner le ciel au-dessus de notre maison, je courais l’annoncer à mon grand-père. Mon grand-père, ces soirs-là, était toujours assis à la même table au café Regina Margherita, occupé à boire sa bière et à fumer son cigare. Je lui criais en courant : ― Ils sont arrivés ! Ils sont arrivés ! Il attendait que je reprenne mon souffle, me faisait boire une petite gorgée dans son verre. ― Ils sont là, tout là-haut ! Regarde, grand-père, comme ils volent vite ! ― Oui, oui. Moi aussi, je les ai vus. Ils sont toujours de parole. Demain, tous les autres arriveront. Ceux-ci vont redescendre à Padoue maintenant pour faire savoir que le temps est beau. Et il me donnait un bonbon au miel. En effet, le lendemain, jour de la Saint-Marc, le ciel se remplissait de leurs vols et de leurs cris. Quelquefois, je cessais de jouer pour les regarder, en compagnie de mon grand-père, s’adonner à leur propre jeu qui n’était pas le même, mais ressemblait à notre jeu d’enfants sur la place du marché. ― Grand-père, est-ce qu’ils auraient appris à faire comme nous ? ― Non, répondait-il, c’est nous qui avons appris à faire comme eux. Voici quel est le jeu des martinets noirs : un groupe poursuit un autre groupe et, quand un martinet poursuivi se détache puis, en virant, réussit à fendre l’espace entre les deux groupes, les rôles s’inversent, et les poursuivants sont, à leur tour, poursuivis. Cette course-poursuite dans les rues autour de la petite place, nous l’appelions le jeu de « l’entaille ». Mais que cela avait été beau de le faire dans le ciel ! Le jour de la Saint Marc est légendaire et particulier aussi parce que, depuis un temps immémorial, dans un village voisin, a lieu la fête des « coucous », au cours de laquelle les garçons offrent aux filles des petits sifflets en terre cuite, tout en en réservant un, spécial, pour une jeune fille spéciale. En échange, la veille de l’Ascension, les auteurs de ces cadeaux recevront des œufs colorés avec des plantes du printemps. On se rendait à la fête à pied, non pas par la route, mais en suivant un vieux sentier délimité par des dalles de pierre, où passaient autrefois les troupeaux qui remontaient par la montagne ; alentour, les prés étaient tout blancs, non pas de neige, mais de crocus éclatants ; et il y avait dans l’air une odeur de fumier et de terre labourée, prête à accueillir l’avoine et les pommes de terre de semence. Les chants des coucous venaient des forêts et, comme dit l’un de nos proverbes Cimbres, ils viennent toujours eux aussi à la Saint Marc réveiller la forêt : Ben ne der kuko kuket/plühnt de stämme/ un bear lebet lange/ borliat de zenneö (Quand le coucou chante, les souches fleurissent, tandis que les hommes qui vivent vieux perdent leurs dents). […] Mario Rigoni Stern, Saisons [Stagioni, Giulio Einaudi editore, 2006], La fosse aux ours, 2008, pp. 57-58-59. Traduit de l’italien par Marie-Hélène Angelini. |
MARIO RIGONI STERN ©Sipa/Andersen Source ■ Mario Rigoni Stern sur Terres de femmes ▼ → 25 avril | Mario Rigoni Stern | Signes de printemps (extrait de Hommes, bois, abeilles) → 16 juin 2008 | Mort de Mario Rigoni Stern ■ Voir aussi ▼ → (sur initiales.org) un dossier consacré à Mario Rigoni Stern [pdf] → (sur Occitanies) un dossier consacré à Pario Rigoni Stern |
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Lumière et ombre. Les liens offerts ici dont celui menant au 25 avril 2011 (extrait et commentaires), ce visage aussi, si grave, si douloureux donnent à ce souvenir de bonheur beau, pur, préservé, le poids des années qui ont suivi, le fascisme et ses horreurs. Cette écriture tardive, magnifique, venue du lointain des souvenirs de ce grand poète italien en est d'autant plus féconde. Inépuisable richesse de la vie jusqu'à la porte du silence. lumière et ombre.
Rédigé par : christiane | 24 avril 2012 à 17:12
hirondelles et martinets (en corse "sbiruli") sont pourtant deux espèces différentes, pourtant il s'agit bien de la même scène de jeu : "l'entaille" et "la coupe" (extrait ci-dessus et extrait du 25 avril)... la confusion est-elle volontaire?
Rédigé par : paula | 25 avril 2012 à 07:10