Henry Bataille, Portrait de Pierre Louÿs in Henry Bataille, Têtes et pensées Paris, Ollendorff, 1901 Lithographie hors-texte, 45 x 32,5 cm Source Samedi 21 avril, 9 heures ½. Oh ! je voudrais écrire, écrire… Les pensées me brûlent la plume, les mots se pressent dans ma tête en feu et les sujets s’accumulent dans ma pauvre imagination de dix-sept ans. J’ai besoin d’être quelqu’un. J’ai besoin de percer, le plus vite possible, et d’écrire, le plus possible, le mieux possible surtout. Trois choses m’arrêtent encore maintenant : l’horreur de la banalité dans laquelle je tombe si souvent, j’en suis sûr, sans le savoir ; puis des scrupules qui me font délaisser les vers pour les études du bachot ; enfin, la paresse, je l’avoue. Et pourtant, non ! ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas la paresse. Je resterais bien quatre heures sur une poésie (et je l’ai fait bien des fois) si je n’avais la conscience de perdre mon temps. Oh ! si je puis un jour ! Si, quand j’aurai vingt-ans, une inspiration me prenait, sublime comme celle du barbier, mais plus durable, plût à Dieu ! Si, sortant du niveau des petits poètes, des Catulle Mendès, des Armand Silvestre, des François Coppée, j’arrivais… oh ! je n’y pense pas… à la gloire de Leconte de Lisle, au génie de Jean Richepin. Ou si même… Oh ! non… non… Pas si haut. Dieu ! que je suis orgueilleux, et fat, et vain surtout. Tout ce que je voudrais (et c’est le monde que cela), ce serait de faire un jour… plus tard… une cinquantaine de jolies poésies… point transcendantes, point philosophiques, sans prétention aux rimes riches, aux rythmes savants. (La France a assez des Banville. Un Musset serait le bienvenu.) Je ferais « rimer idée avec fâchée ». Qu’importe ! Sottises que cela. C’est l’harmonie du vers qui fait tout, avec l’émotion de la pensée. Je voudrais donc avoir fait, quand je mourrai, cinquante jolies choses, groupées sans ordre dans un petit volume de poche in-32, et que ce recueil, tout moi, tout mon être, ce recueil fût feuilleté, et lu, et relu le matin d’un jour d’avril, par quelque jeune fille aimante et douce attardée au lit, et qui en retourne les feuillets dans l’odeur chaste de ses draps blancs. Je voudrais que cette jeune fille, émue par mes vers, mes idées, oh… que cette jeune fille dise : Non, que cela est beau ! mais, que cela est joli ! et que, vaguement émue, troublée peut-être, rêvant on ne sait quoi, laissant errer dans l’incertain la « langueur tranquille de ses yeux », la tête encore bourdonnante des vers aimants qu’elle a lus, elle songeât peut-être un peu à celui qui les a faits. Être admiré n’est rien ; l’affaire est d’être aimé. Oh ! Hugo pardonne-moi ! Ces choses-là ne t’atteignent pas, et je réunis en mon culte pour toi toute l’admiration dont ma tête éclate, tout l’amour dont mon cœur déborde.
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■ Pierre Louÿs sur Terres de femmes ▼ → Quelle île nous conçut… (extrait de Pervigilium Mortis) → 11 mars 1888 | Pierre Louÿs, Mon Journal → 8 septembre 1898 | Lettre de Pierre Louÿs à Georges Louis ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) 12 mars 1936 | Maggie Teyte enregistre les Chansons de Bilitis de Debussy |
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Rédigé par : christiane | 22 avril 2012 à 08:36